La guerre des rats(1999)
main. Les deux trous laissaient passer des flèches acérées de froid qui lui piquaient la peau. Il ferma le poing sous le gant, l’agita devant Koulikov en s’agenouillant à côté de lui.
— Vasha, fit celui-ci, t’as entendu une détonation quand la balle a touché la planche ? Ou quand Danilov s’est fait moucher ?
Zaïtsev plissa le front.
— Non.
Il repensa au moment, quelques secondes plus tôt, où le gant avait été percé, à celui où le commissaire s’était écroulé, quelques heures auparavant. Il s’efforça de déchirer le voile d’excitation toujours présent lorsque les balles volent, et qui obscurcissait sa mémoire comme les nuages obscurcissent un ciel couvert. Il ne se rappelait pas avoir entendu ne fût-ce que l’écho d’une détonation dans les deux cas. Il regarda Koulikov et sourit.
— Une autre pièce bizarre pour le puzzle, Nikolouchka.
Koulikov tira de sa poche une bouteille de vodka presque vide, la tendit à Zaïtsev, qui en approcha sa moufle percée. Le Lièvre regarda le trou, le cercle de peau au dos de sa main, eut une impression qui le fit se raidir : il sentit la balle traverser le tissu, s’enfoncer dans sa chair. En imagination, il envoya la main gantée, perforée comme un ticket de train, parcourir en sens inverse la trajectoire de la balle jusqu’au canon du fusil.
Ha ! te voilà, colonel Thorvald ! Salut.
Koulikov regardait son chef qui demeurait figé, la main tendue. Finalement, Zaïtsev secoua la tête et prit la bouteille, la leva vers l’autre côté du parc pour porter un toast :
— Au Professeur !
La nuit avait deux heures. Loin au nord, les éclairs des tirs d’artillerie faisaient trembler le ciel, alors qu’autour du parc il était silencieux et noir. En écoutant le grondement des explosions, Zaïtsev imagina la ville comme un géant endormi. À ses pieds, où lui-même se trouvait, tout était tranquille ; à l’autre bout, le colosse ronflait.
Thorvald était sûrement sorti de sa cachette : il n’avait pas montré jusqu’ici qu’il aimait chasser la nuit. Zaïtsev ramassa la planche, fit signe à Koulikov.
— Je crois qu’on peut y aller, maintenant.
Koulikov craqua une allumette, tint la flamme près du trait tracé sur le mur. Zaïtsev souleva la planche pour la placer exactement dans la même position que l’après-midi.
— Vas-y, Nikolaï.
Koulikov s’éloigna, braqua vers le ciel un pistolet lance-fusées, fit feu.
L’arme cracha une flamme avec une détonation sourde. À trois cents mètres de haut, la fusée s’alluma sous son petit parachute et projeta une lumière dorée sur le parc.
Koulikov reposa le pistolet fumant, retourna prestement auprès de Zaïtsev, approcha son visage de la planche que tenait le Lièvre. Il regarda à travers le trou comme dans un télescope, garda l’œil près du bois pendant quelques secondes puis, tandis que la fusée faisait pleuvoir des lueurs ocre, il s’agenouilla et plaqua ses mains sur la planche pour la maintenir contre le mur, à l’endroit indiqué par la marque au savon.
— A toi, Vasha.
Zaïtsev laissa son compagnon tenir la planche, se leva, ferma l’œil gauche et approcha l’œil droit du bois.
Le trou encadrait une partie du centre du parc, une étendue plane de cinquante mètres de large courant devant le mur. Thorvald est là quelque part, pensa-t-il.
Les ombres projetées par la fusée retombant étaient noires et mouvantes ; le parc avait pris une couleur paille. On n’y voyait plus guère, mais Zaïtsev connaissait tous les détails inscrits dans le périmètre défini par le trou. Quelques tas de décombres et deux cratères d’obus, rien de plus. Le char brûlé, le bunker et les autres gros vestiges de la bataille se trouvaient à l’extérieur du cercle. Zaïtsev s’y attendait. Il s’ordonna de trouver le nid de Thorvald. Il est dans cette partie plane, devant le mur. C’est plat, derrière quoi il pourrait se cacher ? Regarde. Rappelle-toi. Réfléchis. Sens. Où te serais-tu planqué, toi, Vassili ? Transporte-toi dans cette partie du parc et regarde par ici. Pense comme Thorvald. Derrière quoi tu es ?
Stop.
Le fusil du Professeur n’a fait aucun bruit ! Les détonations n’ont pas traversé le parc. Elles ne se sont pas répercutées sur les bâtiments qui nous entourent. Koulikov n’a rien entendu, je n’ai rien entendu.
Derrière ? Non.
Thorvald n’est pas derrière quelque chose. Il est dans quelque chose !
Ou
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