La guerre des rats(1999)
boîte de caviar. Moi, j’ai récupéré mon fusil, conclut Koulikov en se frappant la poitrine du poing. (Il leva sa bouteille.) À Vasha ! Le meilleur de nous tous.
Les autres, Viktor compris, répétèrent le toast et burent à la bouteille.
Zaïtsev remercia ses camarades puis reprit son rôle de chef en leur rapportant sa réunion avec Tchouikov :
— Voilà ce que le général m’a dit ce soir. En ce moment même, sept cent cinquante mille Allemands sont encerclés dans la steppe. Hier et ce matin, un million de soldats russes, treize mille pièces d’artillerie et neuf cents chars ont contre-attaqué pour couper l’armée allemande de ses lignes de ravitaillement. L’ennemi est pris au piège dans une zone de cinquante kilomètres sur trente-cinq que les Allemands appellent der Kessel, le Chaudron…
« Stalingrad se trouve à l’extrémité est de cette zone. Les Nazis occupent quatre-vingt-dix pour cent du centre de la ville mais notre mission, c’est de les maintenir bloqués ici jusqu’à ce qu’ils soient complètement écrasés ou que Staline leur impose une reddition.
Viktor se leva.
— On dirait qu’on a encore du boulot, les gars.
L’Ours jeta un coup d’œil à Tania, mais n’ajouta pas «et les filles». Elle lui tira la langue. Il glissa ostensiblement sa bouteille dans sa poche pour signifier que la fête se poursuivrait dehors et inviter les autres à le suivre.
Les tireurs d’élite sortirent tous, à l’exception de Tania. Elle ne chercha pas à cacher qu’elle restait, tandis que les autres serraient une fois de plus la main de Zaïtsev.
Il alla s’asseoir près d’elle.
— En écoutant Nikolaï, je me disais que Thorvald était vraiment un tireur phénoménal.
Tania grogna, agacée par ce genre d’humilité, agacée que Vasha puisse exprimer de l’admiration pour un Allemand. Le Lièvre n’en revenait pas d’avoir réussi à battre le Professeur. En un sens, c’était réellement étonnant : Thorvald ne manquait jamais sa cible. La note de boucher qu’il avait laissée en une seule semaine à Stalingrad était effrayante. Mais Vassili Zaïtsev était l’homme le plus dangereux de l’armée russe, peut-être du monde entier, un fusil à la main. Thorvald était-il meilleur ? On ne le saurait jamais, pensa Tania. Le Professeur était mort et c’était en ce jour la mesure de son talent.
Zaïtsev lui prit la main.
— Merci pour la fête. C’était une surprise.
— J’en ai d’autres en réserve.
— Moi aussi. Tchouikov pense que les Allemands vont bientôt tenter une percée. Pour les en empêcher, il veut que quatre lièvres liquident le général von Paulus cette nuit.
Tania haussa les sourcils.
— Décapiter la Sixième Armée pour que le corps ne bouge plus…
— Exactement. Tchouikov m’a chargé de prendre la tête de la mission.
Pas une mission, corrigea intérieurement Tania. Un assassinat.
— Qui emmèneras-tu avec toi ? J’espère que c’est ça, ma surprise.
— Tu seras mon second.
Zaïtsev ajouta qu’il avait également choisi deux bleus de la dernière promotion de tireurs d’élite. Tania les connaissait. Jakobsin, juif lituanien grand et mince, avait une peau sombre qui semblait crépiter d’électricité quand il parlait. Il est bavard, songeait-elle, mais il sait aussi se taire et tirer. L’autre était une femme, Yelena Mogileva ; elle avait vécu à moins de cent kilomètres de Stalingrad, dans la steppe déserte du Kazakhstan. D’elle, Tania savait peu de chose ; Mogileva n’avait pas beaucoup parlé pendant l’entraînement. Quoique maigre, elle avait de grosses mains d’homme, avec des veines et des tendons saillants. Ses cheveux coupés court, autrefois noirs, grisonnaient. Tania n’aurait su dire quel âge elle avait, elle n’aurait rien su dire à son sujet, si ce n’est qu’elle avait à coup sûr manié un fusil avant qu’on lui en remette un à Stalingrad. Elle visait juste et pouvait rester des heures immobile l’œil collé à la lunette. Mogileva avait ses raisons pour faire partie des lièvres, et Tania espérait qu’elles étaient suffisamment bonnes. Pourquoi fera-t-elle partie de cette mission ? Pourquoi nous faut-il deux femmes ? Vasha veut sans doute la former comme il l’a fait avec chacun de nous. Je suis heureuse qu’il m’ait choisie. Il me flatte, il me fait comprendre que, au combat, il ne me considère pas comme une femme. Il me veut à côté de lui dans le danger ; il
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