La guerre des rats(1999)
me fait confiance quand vient le moment de tuer.
Les services de renseignements avaient localisé le bunker de l’état-major de la Sixième Armée allemande dans le centre de la ville. Selon leurs rapports, le général von Paulus se terrait dans le théâtre Gorki, côté sud de la place Rouge.
Zaïtsev regarda sa montre.
— À minuit, nous emporterons chacun deux musettes d’explosifs. Nous descendrons jusqu’à la rive, nous longerons la Maison des Spécialistes jusqu’au bord du parc. D’après Tchouikov, les bureaux et la chambre de Paulus se trouvent dans la partie ouest du bâtiment. Nous poserons les charges au pied du mur du théâtre.
Tania connaissait la suite, elle avait déjà rempli ce genre de mission. Ils allumeraient les charges et, sous le couvert de l’explosion, retourneraient en courant sur la rive gelée de la Volga.
— Cette fois, ce ne sera pas sous les applaudissements que la salle croulera, dit-elle en riant.
Elle regardait les mains de Zaïtsev plonger dans chacun des sacs en toile. Il vérifia les charges, compta les bâtons de dynamite, examina les fils. Méticuleux, il montrait pour les instruments de la mort un respect manifeste.
Tania éprouvait une sorte de fascination pour le corps de son amant. En pensée, elle le vit nu sous sa tenue de camouflage blanche. À la faible lumière de la lanterne, ses bras et sa poitrine glabres étaient minces, blancs comme lin. Pour un homme petit, il avait de longs muscles qui jouèrent sous sa peau quand il posa les musettes près de l’entrée de l’abri.
— Tout est prêt, déclara-t-il. Il est presque minuit. Qu’est-ce qu’ils font ?
Elle s’adossa au mur de terre froide. Jakobsin et Mogileva soulèveraient la couverture dans quelques minutes ; les instants précédant leur arrivée n’appartenaient qu’à elle et à Vasha.
Il se posta devant le mur d’en face, y appuya le dos comme elle. Images en miroir, ils se regardaient d’un bout à l’autre de la casemate.
— Tu crois que ça continuera ? demanda Tania, qui fit aller sa main entre eux. Toi et moi ? (Zaïtsev serra les mâchoires, ne dit rien.) Nous sommes des soldats. Nous sommes aussi des amants. La main et le gant ne vont pas ensemble.
— Tu veux dire que c’est fini ?
— Je ne peux pas te répondre. Je sais que je ne me sens vraiment en vie qu’auprès de toi. Je mène une quête désespérée. D’amour, de vengeance. J’ai envie que ce soit fini, j’ai envie que cela continue. Je suis écartelée, déchirée, Vasha.
Elle inclina la tête, cachant ses yeux derrière le voile de ses cheveux.
— Ce que j’essaie de te dire, Vashinka, c’est que j’ai peur. Je suis complètement perdue. C’était plus facile auparavant, quand je n’étais que haine. La bataille est aussi en moi, maintenant ; l’amour et la haine s’affrontent et je suis dévastée comme cette ville. Je ne sais quel côté je veux voir gagner, je lutte contre les deux à la fois. Non, ce n’est pas terminé. Je… je devais simplement te dire que je ne sais pas ce qui a commencé entre nous.
Il s’approcha d’elle, s’arrêta quand elle fut à portée de main. Elle avait envie qu’il la touche, qu’il décide pour elle, qu’il prenne parti pour l’un ou l’autre camp et le fasse gagner.
— Ce serait merveilleux, Taniouchka, de t’aimer pour toujours. De t’épouser, de vivre et de travailler près de toi. D’apprendre à nos enfants à tirer comme leur mère, la résistante.
Elle l’entendit glousser en prononçant son vieux surnom et sourit dans l’ombre. Il poursuivait :
— Je ne sais pas non plus, Tania. Nous nous baignons chaque nuit dans la vie de l’autre, et chaque matin nous plongeons jusqu’au cou dans la mort. C’est étrange, c’est tordu, ça tourne trop vite pour que j’arrive à voir ce qui se passe. Tout ce que je peux faire, c’est laisser le temps et le destin trouver la réponse, parce qu’ils sont les seuls à savoir ce qui arrive au monde, ou à toi et moi.
Tania releva la tête. “Ce serait merveilleux”, avait-il dit.
— Et toi, qu’est-ce que tu veux ?
Zaïtsev parut répondre d’abord dans sa tête puis, approuvant d’un hochement de tête, il déclara :
— T’aimer pour toujours. Ne jamais te laisser partir.
La respiration de Tania se bloqua dans sa poitrine. Zaïtsev lui prit la main, l’attira vers lui.
Voilà, il m’aime. Alors, il faut qu’il sache. Souriant près des lèvres de Vasha, elle murmura
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