La guerre des rats(1999)
capable, dès sa première année, de briser le bras d’un homme. C’est un amant peu raffiné, Vasha. Je ne le suis sans doute pas non plus quand nous nous enlaçons par terre sur un tas de vêtements. Mais il est fort, et sincère, et je lui donne tout ce que j’ai. Il m’aime, quoiqu’il ne l’avoue pas. Je lui confierais ma vie. Est-ce que je pourrais mourir pour lui ? Je ne sais pas. Est-ce que je mourrais à ses côtés ? Sans l’ombre d’un doute.
La victoire du Lièvre… Si Danilov était là, il la décrirait en termes plus ronflants. Victoire du communisme sur le fascisme, de la volonté russe sur l’arrogance allemande, triomphe du bien sur le mal. Est-ce si important, que Vasha ait tué le Professeur ? Un Boche, un fusil de moins à Stalingrad, cela mérite des applaudissements et des toasts ? Absolument. Thorvald était le meilleur des nazis, leurs généraux plaçaient leurs espoirs en lui et il a été anéanti. Oui, nous pouvons boire à la mort de l’espoir pour tous les nazis.
Entendant des pas dehors, elle rangea son carnet et se leva. Zaïtsev entra, se prêta aux tapes dans le dos, mais garda les yeux fixés sur Tania. Elle retourna s’asseoir dans son coin pour lui signifier d’accepter ces éloges : Nous aurons notre fête plus tard, toi et moi, en privé.
On mit une bouteille dans la main du Lièvre, qui la brandit bien haut, comme si c’était la tête de Thorvald, avant de la porter à ses lèvres. Il avala une longue gorgée sous les hourras. Les autres se précipitèrent sur la caisse apportée par Tchebibouline et la pillèrent, levant les bouteilles en l’honneur de leur chef. Tania applaudit aux toasts en riant.
Quand les cris retombèrent, Nikolaï Koulikov s’avança au centre de l’abri et clama :
— Voici l’histoire du combat du Lièvre contre le Professeur.
Vasha, si je mens, tu me tires dessus.
— Comment je saurai si je t’ai touché ? s’esclaffa Zaïtsev. Tu vas encore faire semblant…
Koulikov, vexé que cette plaisanterie révèle la fin de l’histoire, lança un regard noir à son ami. Il raconta néanmoins comment le haut commandement allemand avait chargé le Professeur de tuer le Lièvre, comment plusieurs camarades — le courageux Morozov, le beau Shaïkine, et ce fou de Baugderis — avaient écrit avec leur sang la carte de l’endroit où Thorvald attendait, de l’autre côté de la place du Neuf-Janvier. Comment ce bouledogue de Danilov, le plus improbable des héros, avait joué un rôle essentiel en se faisant blesser et en inspirant au Lièvre le coup de la planche et du gant blanc. Comment, à la lumière de la fusée, ils avaient examiné le terrain : le char abandonné, le bunker, les cratères de bombe, et finalement la tôle et le tas de briques où, devinèrent-ils, la vipère avait fait son nid. Le subterfuge de la douille d’obus le lendemain, le coup tiré par Koulikov contre le bunker vide, la riposte du Professeur frappant la brique sous le casque de Nikolaï. Comment enfin il avait eu l’idée de se dresser en agitant les ailes à la manière d’un colvert touché.
— Comme ça, dit-il, battant l’air de ses bras devant les lièvres et les ours captivés. Aaaaargh. Il m’a eu !
Gardant les mains en l’air pour fixer dans le temps ce moment de son histoire, Koulikov poursuivit en murmurant :
— Surpris, le Professeur a hésité. Vasha a visé l’éclair bleu dans la tanière sombre…
Zaïtsev éclata de rire : Koulikov le taciturne état un merveilleux conteur.
— Calmement, comme seul un vrai chasseur peut le faire, continua le petit Sibérien en laissant monter sa voix, le Lièvre a attendu quelques secondes, le temps que la tête du Boche s’immobilise. Le Professeur préparait son second coup. Il m’avait eu, il ramenait sa culasse en arrière pour armer son fusil avec la balle qui tuerait Vasha. Mais notre Lièvre a eu le courage d’attendre jusqu’au dernier moment pour punir la première et unique erreur du Professeur, celle qu’il a commise sous le réticule de Vasha. Le Lièvre a tiré dans le noir la seule balle de son duel pour faire éclater la tête invisible de Thorvald et l’inscrire dans son carnet. Que j’ai signé comme témoin, bien sûr.
Les soldats applaudirent, mais Nikolaï n’avait pas fini. L’histoire s’achevait sur le corps blanc et le visage noirci de l’Allemand gisant dans le trou, sous la tôle ondulée.
— On a retiré la tôle comme si on ouvrait une
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