La guerre des rats(1999)
:
— Je t’ai promis une autre surprise, tu te rappelles ?
— Tania, on n’a pas le temps maintenant…
— Pour ça, si. J’aurais dû te le dire plus tôt, mais j’avais peur que tu me renvoies, ou que Danilov me fasse muter. Mais maintenant, il faut que tu saches. À cause de ce que tu viens de dire.
— D’accord. Je t’écoute.
Elle s’écarta du sourire de Zaïtsev pour scruter tout son visage.
— Je suis américaine.
Ni l’œil ni la main de Vasha sur sa taille ne tressaillirent. Il demeura impassible, le corps immobile. Le chasseur à l’affût, pensa-t-elle.
— Non, c’est pas vrai.
En anglais, elle répliqua :
— Mais si, beau petit Sibérien. Tu ne comprends rien à ce que je dis, n’est-ce pas ?
— Tania, tu parles anglais.
Elle repassa au russe :
— C’est ce que nous faisons en Amérique.
— Tu n’es pas américaine.
— Si. Mes parents sont russes. Ils vivent à New York, maintenant.
Zaïtsev commença à se troubler. Tania le sentit réagir : le chasseur sortant à découvert pour engager le combat.
— Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Je me bats.
— Tu espionnes ?
— Non !
— Alors, comment…
De son index, elle lui ferma les lèvres.
— Plus tard, Vasha, quand nous aurons le temps.
Mais tu dois comprendre pourquoi » je ne pouvais rien te dire avant, et pourquoi cela doit rester notre secret. Si les zampolit l’apprennent, ils feront de moi un héros, comme toi, mais uniquement dans la presse. Ils ne me laisseront plus me battre. S’il te plaît, dis que tu es d’accord. S’il te plaît.
Zaïtsev secoua la tête. Tania crut d’abord qu’il la rejetait, ou qu’il rejetait l’idée qu’elle puisse être étrangère. Mais il exagéra le mouvement pour le rendre comique et sourit.
— Oui, Americanouchka, soupira-t-il en roulant des yeux. C’est d’accord. (Il ramena son regard sur elle, la pressa contre lui.) Quand la guerre sera finie, nous pourrons aller vivre en
Floride ?
Tania partit d’un rire joyeux.
Un bruit de bottes se glissa dans la casemate par la couverture. Zaïtsev lâcha Tania, s’écarta et haussa les épaules comme pour dire : « Tu vois, il faut déjà que je te laisse partir. »
Non, pensa-t-elle. Elle se hissa sur la pointe des pieds, projeta son visage vers le sien et, juste avant que la couverture ne se soulève, déposa sur ses lèvres un baiser rapide.
Les mains derrière le dos, elle l’écouta s’adresser aux deux nouveaux. L’homme à la peau sombre et la femme maigre n’avaient fait qu’un pas à l’intérieur de l’abri. L’expression de leurs visages révélait qu’ils étaient impressionnés d’avoir été choisis pour cette mission avec le Lièvre en personne.
Zaïtsev ne regarda de nouveau Tania qu’après qu’ils eurent tous les quatre pris leurs fusils et leurs sacs d’explosifs. Tandis que les deux bleus sortaient, il articula silencieusement derrière leur dos : « New York ? » Tania lui fit une grimace et répondit de la même manière : « Arrête. » Puis ils prirent enfin une mine grave et sortirent à leur tour pour aller assassiner le général von Paulus.
Les quatre tireurs d’élite descendirent des falaises de la Volga vers le fleuve gelé en marchant d’un pas vif le long de la haute paroi de craie. La nuit était éclaircie par un croissant de lune lorgnant derrière les nuages comme un enfant curieux. Dans l’obscurité, Tania ne pouvait que voir en pensée les bâtiments devant lesquels ils passaient et qu’elle situait sur un plan de la ville mémorisé. La Brasserie. La Banque d’État. La Maison des Spécialistes, qui marquait la pointe sud de la poche de résistance de la Soixante-deuxième Armée le long de la Volga. Devant eux, à un kilomètre, le principal débarcadère du ferry, à présent aux mains des Allemands. Tania se rappela être passée devant dans un fleuve en flammes, accrochée à une poutre avec Fedya et Youri. Ce soir, elle y retournait en mission secrète avec le célèbre Lièvre, qui l’aimait, qui ne la laisserait jamais partir. Qui voulait vivre avec elle dans la Floride chaude et ensoleillée.
À sa gauche, une faible lumière miroitait sur le fleuve noir et froid. Mais, au-dessus d’elle et à sa droite, elle sentait la chaleur que projetait la ville, comme une allumette tenue près de sa joue. Les Boches sont encore là-haut, pensa-t-elle. La bataille continue ici et dans toute la Russie. Tant que les Allemands fouleront notre sol,
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