La guerre des rats(1999)
manger…
Il tira de sa veste une flasque de vodka qu’il tendit d’abord à Fedya.
— Bienvenue à Stalingrad.
8
— Debout, tout le monde. On y va !
Viktor Medvedev pénétra dans le vaste atelier. Trente soldats sautèrent des poubelles, caisses et tonneaux sur lesquels ils étaient assis. Les hauts murs de pierre du sous-sol rosissaient sous la lumière de l’aube. Autrefois atelier d’usinage pour l’entreprise de produits chimiques Lazur, la salle avait perdu ses lourdes machines, évacuées de l’autre côté de la Volga au début de l’été, et montrait à présent une étendue grise de sol nu. Comme tous les grands bâtiments de Stalingrad, Lazur avait été réduite à une masse d’acier et de briques calcinées par les bombardements de la Luftwaffe, jusqu’à ce que plus rien ne puisse brûler ou tomber. L’Armée rouge s’était enterrée dans les gravats de l’usine et les ruines du dépôt qui l’entourait. Le sous-sol était demeuré intact sous les poutrelles et les murs effondrés. Le froid de ce matin de fin octobre entrait par les fenêtres brisées, percées presque au niveau du sol. La salle était silencieuse, comme si le vide dévorait tout bruit.
Les trente soldats qui se tenaient devant Viktor étaient les premiers volontaires de la 284 e pour l’unité de tireurs d’élite. Le commissaire Igor Danilov avait précisé au Lièvre et à l’Ours qu’il souhaitait limiter la première promotion de l’école à des hommes de sa propre division afin d’encourager d’autres unités à prendre des initiatives semblables.
La plupart des volontaires avaient lu des articles sur l’unité et les exploits de l’adjudant-chef Zaïtsev dans la feuille Pour la défense de notre pays, publiée deux fois par semaine par les communistes à l’intention des défenseurs de Stalingrad.
Viktor écrasa sa cigarette et commença :
— Vous êtes tous ici pour un seul objectif. Devenir des tireurs isolés et tuer des Boches… (L’Ours leur montra un fusil à lunette.) Quelle que soit l’expérience que vous ayez eue jusqu’à maintenant, vous battre dans cette unité sera totalement différent. Il vous faudra des qualités bien supérieures à celles d’un fantassin. Il vous faudra plus d’intelligence et de discipline. Vous ne serez plus un soldat parmi un millier d’autres qui ne font que ce qu’on leur ordonne. Comme tireur isolé, vous devrez prendre des initiatives. Réfléchir, bouger, agir. Sinon, vous vous ferez descendre, je peux vous le garantir. (Il fit un pas vers la rangée de devant.) Cette unité sera la première en son genre. Jusqu’ici, les tireurs embusqués russes formaient un groupe courageux mais mal organisé et inefficace. Nous avons bien servi, nous pouvons servir mieux. Dans les jours qui viennent, vous apprendrez à traquer votre adversaire. À le tuer dans sa tanière, avec l’effet terrorisant du silence et de la distance. Vous le frapperez dans les moments où il sera le plus vulnérable : quand il allume la clope du matin, quand il pisse un coup, quand il enfourne les haricots et la viande de cheval du soir dans sa bouche. Vous le tuerez quand il commettra le plus petit faux pas. À chaque instant, il sera hanté par la peur. La peur de porter sur lui la marque silencieuse de votre réticule. Il ne saura pas quand viendra la balle qui lui est destinée, mais il saura qu’il n’y a plus un endroit sûr pour lui en Russie. Voilà votre boulot. (Montrant la lunette, il poursuivit :) Cet instrument vous fera voir votre proie de près. Vous observerez l’ennemi pendant des heures, pendant des jours, même. Vous verrez son visage, vous verrez ses dents. Vous verrez sa tête exploser…
Il s’assit sur une caisse vide, posa l’arme en travers de ses genoux, comme un aviron quand on cesse de ramer.
— Ce genre de truc demande de la patience et du sang-froid, enfin. Vous connaîtrez l’homme à qui vous logerez une balle dans le crâne.
Zaïtsev franchit la porte de l’atelier en faisant résonner ses bottes sur le béton. Fixant les nouvelles recrues, il continua l’examen qu’il avait entamé depuis le seuil de la salle en écoutant les remarques d’introduction de Viktor. Il connaissait déjà six des hommes assemblés : Baugderis, Tchekov, Shaïkine, Griasev, le géant, Kostikev et le petit Koulikov. Il leur avait demandé personnellement de rejoindre l’unité après les avoir observés au combat. Il avait vu Baugderis, Shaïkine
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