La guerre des rats(1999)
Moisin-Nagant, sourit cette fois au première classe qu’il avait mis en joue.
— Bah, on est des Russes, on peut le porter.
Il braqua de nouveau l’arme sur le soldat qui demeura cette fois impassible. Viktor appuya sur la détente, actionna la culasse.
— Il a un défaut, reconnut-il, abaissant l’arme au niveau de sa poitrine. La culasse est trop avancée pour un tir rapide. En moyenne, un Russe tire deux balles en cinq secondes, cinq secondes et demie. Autant dire qu’il vaut mieux faire mouche au premier coup, parce que votre adversaire tirera la deuxième balle avant vous.
Il coinça l’arme sous son bras et conclut :
— Vous en recevrez tous un aujourd’hui. Vasha…
Zaïtsev se leva à son tour, troqua sa cigarette à moitié fumée contre le Moisin-Nagant, lança un coup d’œil à Danilov. Le commissaire demeurait penché sur son cahier. Le Lièvre soupesa le fusil, s’approcha du soldat que Medvedev avait pris pour cible. Avec cinq autres volontaires, il était assis sur un tuyau métallique.
— Comment tu t’appelles ?
Le soldat se leva à demi pour répondre, mais Zaïtsev lui fit signe de rester assis.
— Tchekov, mon adjudant. Anatoli Petrovitch.
Zaïtsev remarqua l’uniforme déchiré, les bottes crottées. Les yeux de l’homme n’exprimaient aucune frayeur.
— T’as été au feu ?
— Oui, mon adjudant.
— Tu chassais, dans le civil, Tchekov ?
— Je braconnais. En Ukraine.
Zaïtsev haussa les sourcils. Un braconnier ? Jamais j’aurais dû laisser Danilov définir lui-même les qualités requises chez un volontaire. Enfin, c’est pas le moment de juger.
Il hocha la tête, avança le long de la rangée, demandant aux hommes comment ils s’appelaient, s’ils chassaient. Ou braconnaient.
— Vasilchenko. Euh, oui, je braconnais un peu…
— Druiker, d’Estonie. J’aimais mieux pêcher, mais je sais me servir d’un fusil…
— Volyivatek. Des environs de Kishinev, en Moldavie. Je chassais tous les jours avant d’être mobilisé. J’étais le meilleur fusil de mon village…
— Slepkinian, d’Arménie, répondit une femme brune aux jambes épaisses. Mon mari est devenu invalide après un accident à l’usine, y a longtemps. J’ai dû apprendre à chasser pour nourrir mes enfants…
Des paysans, comme moi, pensa Zaïtsev. Tant mieux, ils sont habitués à la dure.
Il s’arrêta devant une blonde grande et mince, remarqua l’intensité de son regard. Ça, c’est pas une paysanne, devina-t-il.
— Tchernova, se présenta-t-elle.
Le grand type qui se tenait à côté d’elle déclina son identité avant même que Zaïtsev se soit éloigné de la fille.
— Mikhaïlov, Fedor Ivanovitch. De Moscou.
Le Lièvre les examina, les trouva propres et nets comparés aux autres.
— Vos uniformes sont neufs. Vous êtes arrivés quand à Stalingrad ?
Le jeune Moscovite se hâta de répondre, pour lui et la fille, apparemment :
— Il y a deux jours. Notre bateau a coulé en traversant la Volga. Nous… euh… (Il regarda droit devant lui.) Nos uniformes étaient…
— C’est vous qui êtes tombés dans la merde ?
Medvedev eut un petit rire en se frottant le front.
Zaïtsev considéra le jeune homme, aussi massif que son ami Viktor.
— Ce genre d’histoires circule vite. C’est pas grave, vous avez été très courageux, tous les deux.
Il retourna au centre de la pièce, le Moisin-Nagant sous le bras. Bon, c’est le moment de commencer à jouer au héros,
décida-t-il.
— Avant tout, je voudrais vous dire quelque chose que le camarade Danilov n’a pas encore mis par écrit.
Le commissaire releva la tête comme un animal alerté par un bruit curieux. Il tourna une page de son cahier, se remit à écrire.
— Je veux que vous sachiez tous pourquoi j’ai accepté d’être votre instructeur, poursuivit le Lièvre. C’est parce que je vous considère comme ma revanche. Si je meurs au combat, c’est vos balles que je continuerai à tirer sur les nazis. Je les combattrai de ma tombe grâce à vous… (Il s’interrompit pour regarder les visages tendus des recrues.) Chacun de vous doit connaître sa raison personnelle d’être ici, comme je connais la mienne. Ça vous aidera à rester en vie.
Zaïtsev tendit le fusil au braconnier Tchekov et ajouta :
— Ça vous aidera à mourir en vendant chèrement votre peau.
Dans le silence qui suivit, on n’entendit plus que l’écho de la voix de Zaïtsev et le bruissement des pages du cahier de
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