La guerre des rats(1999)

déplaçait bien et assurait qu’elle savait chasser. Viktor lui avait parlé de la blonde, Tchernova. L’Ours avait partagé une bouteille avec les gardes qui les avaient amenés, elle et Mikhaïlov, des tranchées situées au bord du no man’s land. Elle affirmait qu’elle avait combattu avec les partisans en Biélorussie. En apprenant que l’usine Lazur accueillerait la nouvelle école de tireurs d’élite, elle avait insisté pour faire partie de la première fournée.
    Quelle expérience a-t-elle ? s’interrogea-t-il. On a tellement peu de nouvelles des zones occupées. On dit que c’est dur, là-bas, terrible. Est-elle une combattante coriace, l’honneur de la Résistance, ou simplement capable de mettre un regard ferme sur ce joli visage ? Nous verrons bien.
    Zaïtsev observa Tchernova, assise avec les hommes. Elle avait fourré sa cuillère dans l’une de ses bottes, comme un vrai fantassin. Après une gorgée de vodka, elle aspira l’air à travers sa manche. Les hommes prenaient plaisir à sa compagnie et négligeaient l’autre femme, plus grosse.
    Il s’arrêta de marcher parmi ses élèves, continua à ne regarder qu’elle. Même lorsqu’il claqua des mains pour signifier que la pause était finie et qu’il fallait reprendre l’instruction, elle retenait son attention. Sa voix s’élevait au-dessus des autres. Elle était derrière lui, mains sur les hanches. Ne pense plus à elle, s’ordonna-t-il.
    Des ennuis.
    Zaïtsev s’approcha du mur de parpaings, tourna le dos aux volontaires, dont la plupart étaient assis en tailleur sur le sol de l’atelier, en demi-cercle. La lumière de fin d’après-midi pénétrait par les fenêtres brisées du sous-sol. Au-dessus de leurs têtes, la poussière tourbillonnante brillait comme du mica.
    — Là-bas, commença le Lièvre, tendant le bras vers une fenêtre, c’est quelquefois très calme. Le silence peut être trompeur et vous pousser à l’imprudence…
    Il alla se poster au milieu du groupe.
    — Rappelez-vous, vous n’êtes plus dans l’infanterie, vous êtes des tireurs embusqués. Vous devez prendre de nouvelles habitudes, de nouvelles façons de penser. Un fantassin livre bataille dans le bruit, les cris, les explosions. Vous, vous vous battrez dans le silence. Vous imaginez pas que vous êtes seul juste parce que c’est tranquille autour de votre tranchée ou de votre trou. Il y a des bras, des jambes et des yeux partout dans les ruines. Chaque bâtiment, chaque maison détruite, est surveillé. Des équipes de ravitaillement courent dans les tranchées pour apporter des munitions, des mines, des vivres. Du haut des immeubles, des observateurs d’artillerie braquent leurs jumelles dans toutes les directions. Des sapeurs rampent dans les débris pour trouver les bunkers et les galeries de l’ennemi. Des courriers du quartier général apportent des messages aux unités encerclées sans radio. Ne l’oubliez jamais : le champ de bataille grouille d’activités, même quand vous ne voyez et n’entendez rien. Vous, les tireurs d’élite, vous serez au milieu de tout ça. Invisibles, silencieux, vous observez, vous laissez faire jusqu’à ce que ce soit le moment de frapper.
    Zaïtsev se tut, regarda Danilov. Le crayon du commissaire s’agitait fébrilement pour garder trace de ces premières leçons de la nouvelle école de l’Armée rouge. Vassili Zaïtsev, maître tireur, écrivait-il probablement. Héros.
    — Quand vous retournerez dans vos unités comme tireurs d’élite, vous traquerez les cibles les plus importantes dans cet ordre : officiers, observateurs d’artillerie, éclaireurs, servants de mortiers et mitrailleurs, fusiliers antichars, messagers à moto. Ne révélez jamais votre position en tirant sur une cible moins importante si vous pensez qu’avec un peu de patience vous finirez par avoir un officier dans votre ligne de mire…
    « Le commandant de votre compagnie communiquera au chef de votre escouade l’objectif du jour. Vous avancerez jusqu’au front, vous mènerez l’assaut en éliminant les cibles que je viens d’énumérer, dans l’ordre. Quand l’attaque sera lancée, vous vous porterez sur les flancs pour protéger vos camarades des mitrailleuses et des mortiers…
    Zaïtsev s’interrompit pour laisser aux soldats le temps d’assimiler ce qu’il venait de dire, conscient cependant qu’il lui faudrait le répéter plusieurs fois avant la fin de la journée. Il se frotta les mains.
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