La guerre des rats(1999)
Zaïtsev, mais l’adjudant Medvedev est un vrai oiseau de nuit.
Viktor abattait régulièrement des mitrailleurs ennemis assez fous pour tirer des balles traçantes, ou des observateurs d’artillerie trop entichés des fusées vertes et rouges qu’ils lançaient en chandelle au-dessus des flottilles russes sur la Volga.
Zaïtsev était convaincu que les conditions plus dures que connaissaient les Russes contribuaient à aiguiser leur vigilance. Au contraire, la concentration des tireurs allemands était émoussée parce qu’ils opéraient exclusivement de l’arrière et à la lumière du jour. Autre avantage, la présence de tireurs d’élite à leur côté renforçait le moral des troupes soviétiques combattant en première ligne. Le fantassin allemand, lui, ne voyait jamais les tireurs d’élite de son armée.
— Les tireurs embusqués nazis se croient en sécurité, parce qu’ils se planquent dans des tranchées, à l’arrière. Ils ne sont pas en sécurité. Pourquoi ? Parce qu’ils sont toujours en Russie.
Ça suffira pour aujourd’hui, pensa Zaïtsev. Je ne vois pas ce que je pourrais leur dire d’autre. En fait, je ne me doutais pas que j’en savais autant moi-même.
Il se tourna vers Danilov, qui avait passé la journée à prendre des notes. Le commissaire ferma son cahier et le tint à deux mains au-dessus de sa tête, comme un trophée qu’il aurait gagné. Puis il sortit de l’atelier d’un pas pressé, les pans de sa longue capote se relevant comme des chiens courant à ses côtés. Zaïtsev claqua des mains.
— Debout. Demain, nous commencerons les exercices de tir. Pour le moment, les lièvres viennent avec moi, les ours restent avec l’adjudant Medvedev. Nous allons vous montrer vos quartiers. En avant.
À la suite d’un des deux sous-officiers, chaque groupe de quinze recrues monta au rez-de-chaussée de l’usine Lazur et se dirigea vers des coins différents du bâtiment. Une fois la décision prise de séparer les volontaires, Zaïtsev et Viktor avaient souhaité donner à chaque escouade une identité distincte, avec des objectifs militaires correspondant aux capacités physiques et à la personnalité de leurs membres, et Danilov avait approuvé l’idée. Les ours collaboreraient plus étroitement avec les troupes du front, sapant la résistance ennemie avant l’assaut et protégeant les flancs de la 284 e durant les opérations. En plus du fusil à lunette, ils utiliseraient des mitraillettes et des grenades. Cette équipe de costauds serait également formée à la traque de nuit, la spécialité de Viktor. Les lièvres, eux, seraient les tueurs de la division, hommes — et femmes — plus légers, plus mobiles, possédant le cran et la pratique du terrain nécessaires pour « ramper dans la bouche de l’ennemi et lui arracher les dents », selon les termes de Viktor. Les lièvres apprendraient avec Zaïtsev à se fondre dans le paysage du front, à attendre avec une patience inlassable, à tuer avec une seule balle.
Zaïtsev conduisit ses recrues dans une vaste pièce sans fenêtre dont une couverture fermait l’entrée. Une lanterne brillait dans un coin, éclairant trois seaux d’eau et une cuvette en fer-blanc. La pièce ne contenait rien d’autre.
— On vous apportera le dîner dans quelques heures, promit-il. En attendant, faites connaissance, parce que vous travaillerez bientôt ensemble.
En quittant l’usine, il retrouva Medvedev.
— Qu’est-ce que t’en penses ? lui demanda l’Ours quand ils furent accroupis dans une tranchée, derrière le grand bâtiment.
Le soleil était presque couché. Il n’y avait plus d’ombres ; un froid vif montait du sol. Zaïtsev connaissait les habitudes de son ami : il retournerait à leur abri, avalerait rapidement un morceau, lirait quelques articles de Pour la défense de notre pays ou de l’Étoile rouge, dormirait un peu et repartirait dans la nuit.
— Difficile à dire avant que le premier coup soit tiré, répondit Zaïtsev. En tout cas, je suis content de pas être allemand.
— C’est bien.
Viktor se releva, se mit à marcher, la tête sous le bord de la tranchée. Une telle masse, pensa le Lièvre. Il n’est pas du tout bâti pour ce boulot de tireur d’élite. Comment il fait ?
— Je suis bien content aussi de pas être un ours, ajouta-t-il en riant.
Viktor saisit une poignée de terre et la jeta sur Zaïtsev. Penché en avant, le Lièvre courut dans la tranchée jusqu’à leur abri,
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