La guerre des rats(1999)
l’Ours grognant sur ses talons.
9
Quelques minutes avant minuit, Zaïtsev pénétra dans le quartier des lièvres.
— Comment vont mes lapins ?
Sa lanterne projetait des ombres couleur d’ambre sur les visages aux yeux clignotants. Les volontaires se redressèrent sur leurs tapis de couchage. Une bonne chose, ils savent dormir, pensa le Sibérien. C’est une qualité importante pour un tireur isolé : se reposer où et quand on peut.
— J’ai une mission pour vous, annonça-t-il en s’accroupissant. (Des vrilles noires jouèrent sur les figures ensommeillées quand il posa la lampe par terre.) Aujourd’hui, après les cours, le commandement de la division m’a envoyé ses ordres. Apparemment, des prisonniers boches nous ont révélé l’emplacement d’un QG allemand avancé. Notre commandement m’a demandé si je pouvais prendre position dans le no man’s land avec des tireurs et attendre le jour pour faire quelques cartons, avec un peu de chance. J’ai répondu oui, on peut faire ça, mais j’ai une meilleure idée. Pourquoi se contenter de trouer la peau de quelques officiers nazis ? Pourquoi ne pas tous les liquider d’un coup ?
Tchekov prit la parole :
— À la dynamite.
— Une médaille pour le soldat Tchekov, dit Zaïtsev.
Exactement. J’emmène quatre d’entre vous, nous partons tout de suite. J’ai les sacs contenant les charges, j’ai une carte du secteur. Des volontaires ?
Toutes les mains se levèrent et le Lièvre tapa sur la tête des soldats qu’il voulait pour cette mission : Tchekov, le braconnier, intelligent, excellent fusil ; Kostikev, le Sibérien taciturne ; Koulikov, expert dans l’art de ramper en silence, capable de disparaître littéralement dans les décombres ; et Tchernova, la résistante.
Chacun d’eux se leva, s’approcha de la porte. Zaïtsev se tourna vers ceux qui restaient.
— Rendormez-vous. Tout le monde aura sa chance. On sera de retour avant l’aube.
Les quatre recrues suivirent l’adjudant dans la nuit d’octobre. Seuls le claquement sec d’un fusil lointain ou une rafale de mitrailleuse brisaient le silence glacé. Zaïtsev longea le mur en tenant bas sa lanterne. Les ombres des volontaires traînaient derrière eux.
Il s’arrêta, posa sa lampe près du tas qui les attendait : six sacs à dos et cinq fusils. De sa poche, Zaïtsev tira un pot de graisse. Tchekov y plongea deux doigts et le fit passer. Tous se noircirent le visage et les mains pendant que Zaïtsev dépliait sa carte près de la lumière crachotante.
— Ici, c’est la Lazur, dit-il, tendant l’index. Là, les bâtiments extérieurs d’Octobre-Rouge. Là, l’école de pilotage de Stalingrad. Et là, entre les deux, une rangée d’entrepôts frigorifiques. C’est dans celui-là, au dernier étage que se trouve le QG allemand. (Il fit courir son doigt sur la partie nord du dépôt de chemin de fer, qui entourait l’usine Lazur sur trois côtés.) Nous traverserons le no man’s land en rampant vers le nord. Nos avant-postes sont là et là. Ils ont été prévenus pour qu’ils ne nous tirent pas dans le dos. On pénètre dans le bâtiment par le sud, on grimpe au deuxième étage, on pose nos charges, on les allume et on ressort.
Il leva les yeux vers les visages noirs et brillants des soldats. Tous étudiaient la carte, à l’exception de Tchernova, qui le regardait. Il lui sourit.
— Du boulot propre, comme tu l’aimes, Résistante. Exact ?
— Exact.
— Allons-y, décida-t-il en repliant la carte. Vous prenez chacun un fusil et un sac d’explosifs. Vous portez la dynamite, moi les détonateurs. (Il accrocha deux des sacs à son épaule.) S’il m’arrive quelque chose, vous récupérez mes sacs.
Il éteignit la lampe, la poussa contre le mur, fit signe à Tchekov d’approcher.
— Tu connais le chemin ?
Le première classe acquiesça de la tête.
— Ces deux derniers mois, j’ai passé quelques années de ma vie dans Octobre-Rouge. Je connais l’usine comme ma poche, mon adjudant. Les entrepôts frigorifiques aussi.
Zaïtsev lui tapota le dos. Tchekov était plus petit que lui d’une demi-tête, avec un visage aux traits délicats et des cheveux noirs, l’attitude confiante d’un athlète. Il fera un bon tireur d’élite, pensa le Lièvre. Il est vif, plein de sang-froid. Il sera difficile à prévoir.
— Bon, tu prends la tête, Tchekov. Toi, tu le suis, dit Zaïtsev en touchant le bras de Kostikev. Si on a des ennuis, tu
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