La guerre des rats(1999)
Comme le loup dans la taïga, le tireur d’élite russe n’a qu’un prédateur naturel, dit-il, comme s’il confiait un secret à d’autres conspirateurs. Vous avez comme ennemi le tireur d’élite allemand. Il est votre némésis comme vous êtes la sienne. Malgré la liste que je viens de vous donner, un tireur d’élite ennemi est toujours une priorité.
Il sourit à l’Ours qui se tenait derrière les hommes et fumait, le regard perdu dans le lointain comme s’il se trouvait dans un vaste espace découvert.
— Rien, reprit Zaïtsev, portant le viseur du Moisin-Nagant à son œil, absolument rien ne sera pour vous plus excitant, plus dangereux qu’un duel à mort avec un autre tireur isolé.
Il appuya sur la détente, le percuteur claqua dans la pièce silencieuse.
— C’est votre adversaire le plus précieux.
Viktor expédia un crachat sur le sol de ciment, l’étala du pied, s’avança au milieu du groupe pour rejoindre Zaïtsev.
— Et on va vous apprendre à le tuer, déclara l’Ours. Le Lièvre tapota le dos massif de son ami en ajoutant :
— Une balle, un mort.
Cette après-midi-là, les recrues étudièrent ce que Zaïtsev et Medvedev avaient appris de la tactique et des capacités des tireurs ennemis. Il était clair à présent qu’ils n’avaient pas été entraînés pour opérer dans une ville dévastée comme Stalingrad, mais plutôt pour s’intégrer à la tactique de blitzkrieg. Ils étaient habitués à déferler à travers des plaines découvertes, à contourner des villes désertées, rasées par les bombardements. Où apprend-on la patience, se demanda Viktor à voix haute, quand on court derrière un char, quand on conquiert des pays en peu de temps, la Pologne en un mois, la France, incapable et trouillarde, en une semaine ?
Les Allemands savaient utiliser la graisse ou la poussière pour noircir leur visage et se fondre dans le paysage. Ils enveloppaient l’extrémité de leur canon avec un chiffon clair ou foncé. Une seule fois, Zaïtsev et Viktor avaient été bernés par un nazi qui, à l’aide d’une ficelle attachée à la détente de son arme, avait tiré en se tenant à vingt mètres de distance. Le Lièvre avait fait feu sur la position ainsi révélée, certain d’atteindre la cible. Il en avait été récompensé par une balle qui avait ricoché sur son casque et l’avait expédié sur les fesses.
L’habileté des tireurs d’élite allemands était mortelle jusqu’à cinq cents mètres de distance. Extrêmement dangereux, ils étaient parfois imprudents et trop sûrs d’eux, négligeant souvent de changer de position après avoir tiré. Ils n’économisaient pas leurs munitions, expédiaient quelquefois deux ou trois balles sur une même cible depuis la même position, offrant à un Russe patient la possibilité de riposter à un coup manqué par un coup au but. Les Boches utilisaient fréquemment les mêmes leurres, agitant un casque au bout d’un bâton au-dessus d’un parapet trois ou quatre fois dans la même heure comme si le tireur d’élite russe était un poisson mordant à n’importe quel appât. Viktor se sentait insulté par leur attitude. Ils fumaient la cigarette ou la pipe après la tombée de la nuit, jetaient des pelletées de terre en l’air quand ils creusaient leur trou.
— Ne comptez jamais sur votre adversaire pour faire une erreur, conseilla Zaïtsev aux recrues. Mais laissez-lui tout le loisir d’en commettre une. Et punissez-le.
— Aucune erreur n’est petite si elle vous fait exploser le crâne, leur rappela Viktor.
Le tireur isolé allemand opérait dans une sécurité relative, généralement à deux ou trois cents mètres du front. Ses tirs de quatre cents mètres ne pénétraient donc que d’une centaine de mètres dans les arrières russes, et cette tactique menaçait peu les officiers de l’Armée rouge, qui demeuraient le plus souvent assez loin du front. Le nouveau tireur russe, possédant une meilleure pratique du terrain, s’aventurerait sous le nez même de l’ennemi pour surprendre un colonel ou un général allemand inattentif à cinq cents mètres des combats.
— Du coup, même les femmes de notre unité feront de meilleurs hommes, conclut Zaïtsev.
Les tireurs d’élite nazis n’opéraient jamais de nuit, ce qui laissait aux Russes un intervalle de douze heures pendant lequel ils n’avaient pas à craindre de se faire repérer.
— Moi, j’aime pas chasser dans le noir, commenta
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