La guerre des rats(1999)
soleil est derrière vous. Chaque fois que vous pourrez, placez-vous le dos au soleil pour tirer. C’est plus dur pour l’ennemi de vous repérer. Et ça empêche votre lunette d’envoyer des reflets.
Tania contempla le dépôt creusé de cratères qu’elle avait traversé en rampant deux jours plus tôt, la cabane de cheminot, la tranchée dans laquelle ils s’étaient jetés. Dans la lumière de l’après-midi, elle découvrit une douzaine de mitrailleuses russes placées à cinquante mètres d’intervalle dans la tranchée et braquées sur le dépôt. Fedya et moi aurions pu récolter quelques balles, cette nuit-là, pensa-t-elle. Nicht schiessen.
À quatre pattes, Zaïtsev s’approcha du bord de la fenêtre. Il tira de sa poche une paire de gants qu’il avait attachés ensemble avec de la ficelle et les posa sur l’appui.
— Faites-vous une sorte de coussinet pour que votre canon ne glisse pas, recommanda-t-il aux recrues pardessus son épaule.
Il ramena l’œil devant la lunette et sans se retourner, cette fois, poursuivit :
— Vous voyez le deuxième char allemand ? Celui qui a une chenille pétée ?
Il fit feu. Tania entendit un impact, métal contre métal, ping, résonner pardessus la détonation.
— La croix de fer sur l’aile avant de ce tank se trouve exactement à quatre cents mètres de notre mur. Cette rangée de fenêtres, on l’a surnommée « le stand de tir ». Vous y viendrez régulièrement régler votre viseur, ou chaque fois que vous aurez des doutes sur la précision de votre arme. Approchez prudemment des fenêtres, deux par deux. Réglez vos lunettes sur la bonne distance et attendez que je vous donne l’ordre de tirer.
Tania rampa vers la fenêtre se trouvant en face d’elle, fut rejointe par Slepkinian, l’Arménienne. Elle régla sa lunette pour une distance de quatre cents mètres, visa l’insigne nazi.
Zaïtsev recula, se mit debout, alla se placer derrière les lièvres de la première fenêtre et porta ses jumelles à ses yeux.
— Shaïkine, feu.
Tania se raidit quand le fusil tonna, sur sa droite. Elle n’entendit aucun claquement indiquant que l’homme avait fait mouche.
— Nikolaï.
Koulikov, voisin de Shaïkine, fit feu à son tour et manqua lui aussi.
Zaïtsev passa à la fenêtre suivante, ordonna aux élèves de tirer, un à la fois. Ils ratèrent également la cible.
— Résistante.
Tania maintint la croix noire du char au centre de son viseur, pressa doucement la détente. La crosse du fusil lui meurtrit l’épaule. Elle dressa l’oreille pour entendre le ping. Rien.
Après qu’ils eurent tous tiré, aucun des lièvres n’avait touché l’insigne. Zaïtsev commenta l’exercice avec de la satisfaction dans la voix : sa ruse avait fonctionné.
— Comme vous pouvez le constater, tirer sur un mur dans un sous-sol, c’est pas la même chose que tirer sur une cible, dehors. Sur le champ de bataille, il faut tenir compte du vent, de l’humidité, de la température, de votre position par rapport à la cible — plus haut, plus bas, et même du moment de la journée. La plupart d’entre vous chassent. Mais aucun n’est habitué à tirer avec une lunette et d’aussi loin. Vous devez acquérir les automatismes du tireur d’élite. Vous devez déchiffrer les signes que le terrain et la nature vous offrent. Regardez la cible dans votre lunette.
Tania plaça son réticule sur la croix de fer du char, entendit les bottes de Zaïtsev derrière elle.
— Regardez au-dessus de l’aile. Aujourd’hui, le temps est frais mais ensoleillé. L’aile est sombre, ce qui veut dire qu’elle absorbe de la chaleur. Vous verrez des ondes de chaleur s’élever du métal. Dans quelle direction elles vont ? À gauche ou à
droite ?
— À gauche, répondirent plusieurs voix.
— Oui. Ce qui signifie que le vent souffle de droite à gauche. Les ondes bougent à peine, le vent est faible. Mais vous tirez
pardessus un vaste espace découvert. Vous devez tenir compte du fait qu’il n’y a rien pour arrêter le vent. S’il faisait humide, si c’était tôt le matin après une nuit froide, il faudrait aussi adapter votre tir à ces circonstances. Ensuite, vous tirez légèrement d’en haut, vous devez en tenir compte aussi. La trajectoire de votre balle déclinera plus lentement et vous tirerez trop long. De même, si vous êtes placé plus bas que la cible, votre balle aura tendance à s’élever et vous tirerez trop long. Tournez-vous vers
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