La jeunesse mélancolique et très désabusée d'Adolf Hitler
tu peux te débrouiller tout seul, moi j’ai mes livraisons… et oublie pas de fermer ta braguette, sinon ta chemise va prendre froid.
Suivant son regard, Adolf vira cramoisi. Malgré les douleurs qu’éveillait chacun de ses mouvements, il se rajusta, incapable de se rappeler comment il était arrivé dans ce fossé d’épuration… Il se souvenait de son examen réussi de justesse, il se souvenait de la virée triomphale en compagnie de Max, Conrad, Franz et Ditlieb, il se souvenait de l’achat des bouteilles de vin d’Asti, il se souvenait des premiers toasts dans la cabane des cantonniers, et puis plus rien, tout se diluait dans un flou vaporeux… Où étaient passés ses camarades ? Pourquoi l’avaient-ils abandonné dans ce fossé ?
Steyr étant une vieille cité majoritairement jaune-noir, les cinq collégiens étaient les seuls dans l’entière Realschule à arborer le bleuet ou le ruban noir-rouge-or des pangermanistes.
Adolf attendit que la laitière et son gros chien attelé aient disparu pour s’extraire péniblement du fossé et remonter à quatre pattes sur la route de Linz. La démarche accablée, le regard fuyant, il entra dans Steyr et rasa les vieux murs jusqu’au 19 du Grünmarkt. Il traversa la cour intérieure et monta les marches deux par deux au lieu de l’habituel quatre par quatre. Dans sa chambre, il retira ses habits maculés et puants, puis il pâlit.
– Meine Zeugnis !
Balbutiant d’incrédules ce n’est pas possible, il fouilla et refouilla ses vêtements, en vain, cherchant même dans des endroits aussi improbables que l’intérieur de ses chaussures. Son ventre émit quelques grondements annonçant la venue d’une crise de météorisme carabinée.
Ne conservant que son caleçon de laine bleu foncé (tricoté par sa mère), il versa de l’eau dans la cuvette et se débarbouilla, évitant de croiser son regard dans le miroir ovale : ce matin il ne se plaisait pas.
Où était son diplôme ? Perdu ou victime d’une mauvaise farce ? Pire que tout, il lui était impossible de se remémorer la dernière fois qu’il l’avait vu…
Il y eut des coups discrets contre la porte. Il enfila sa robe de chambre vert pomme et ouvrit. Frau Petronella Cichini entra avec un large sourire, portant à deux mains un plateau sur lequel attendaient un bol de café fumant, une assiette de charcuterie et une part de gâteau aux noix.
– Grüss Gott , Herr Adolf, je vous ai vu passer dans la cour avec votre tête de fêtard… Dois-je en déduire que vous avez été reçu ?
Sans répondre, l’adolescent fit de la place en débarrassant la table encombrée de livres et de croquis.
– Oui, j’ai été reçu, finit-il par dire, la bouche pleine.
Le café était chaud et très sucré, comme il l’aimait. Il oublia un instant ses préoccupations.
– C’est votre mère qui va être contente ! dit la logeuse en désignant la photographie agrandie de Klara âgée de vingt ans.
La photographie de sa mère était entourée par un portrait de Bismarck coiffé d’un casque à pointe d’officier supérieur, et par une gravure sur laquelle Richard Wagner en armure terrassait à mains nues Fafner le dragon. Dessous, côte à côte avec un dessin colorié de Winnetou l’Apache Mescalero brandissant un tomahawk emplumé, Adolf avait épinglé le portrait d’Arthur Schopenhauer avec pour légende une phrase écrite par Arthur âgé de seize ans, en exergue de son premier journal intime : « La vie est un dur problème, j’ai résolu de consacrer la mienne à y réfléchir. »
– Je peux bien vous le dire maintenant que vous l’avez, mais elle se faisait du souci.
Ses intestins gargouillèrent, et cette fois il toussa afin de couvrir le bruit des flatulences qu’il ne put empêcher de fuser. Frau Cichini ne se formalisa pas. Frau Hitler l’avait mise en garde contre les désordres gargouillateurs de son rejeton, désordres qu’aucun médecin n’avait pu, ou su, traiter à ce jour.
– Je suis reçu, mais j’ai perdu mon diplôme ! Enfin, je pense l’avoir perdu… À vrai dire je n’en sais rien, Frau Cichini… Je me suis réveillé tout à l’heure dans un fossé sur la route de Linz… et sans une laitière j’y serai encore… En tout cas, je fais le serment absolu et définitif de ne plus jamais boire une goutte d’alcool ! Plus jamais !
Tout en ouvrant la fenêtre pour créer un salutaire courant d’air, Frau Cichini s’efforça de le
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