La lance de Saint Georges
rapprochant du pont où, incapables de
franchir la barricade, ils rejoignaient ceux qui étaient descendus sur la
berge, d’où ils tiraient leurs flèches sur les arbalétriers des bateaux. Les
hommes du comte de Warwick se mirent à détourner les archers de la rue qui
menait au pont, mais quand ils en retenaient un, deux autres se faufilaient.
Une foule d’hommes du peuple, certains armés de simples
bâtons, attendaient sous la barbacane, ce qui promettait un autre combat si la
barricade était enlevée. Une folie s’était emparée de l’armée anglaise, celle
d’attaquer un pont trop bien défendu. Des hommes allaient à la mort en criant
et d’autres encore plus nombreux les suivaient. Le comte de Warwick leur criait
de faire retraite mais ils restaient sourds à ses admonestations. Puis une
grande exclamation de défi monta de la berge. Thomas, quittant le porche, vit
que des groupes d’hommes essayaient de traverser l’Odon. Et ils y parvenaient.
L’été avait été sec, la rivière était basse et la marée descendante la rendait
encore plus basse, si bien que dans sa plus grande profondeur l’eau ne montait
que jusqu’à la poitrine. Beaucoup d’hommes plongeaient dans la rivière. Thomas,
évitant deux sergents du comte, sauta par-dessus les restes de la palissade et
se laissa glisser sur la berge qui était parsemée de carreaux fichés en terre.
L’endroit puait l’excrément car c’était là que les habitants venaient vider
leurs vases de nuit. Une dizaine de hobelars gallois entrèrent dans l’eau.
Thomas les suivit, levant son arc bien au-dessus de sa tête afin de maintenir
la corde au sec. Les arbalétriers devaient se dresser au-dessus de leur abri
pour tirer sur les assaillants et une fois debout ils constituaient des cibles
faciles pour les archers qui étaient restés sur l’autre berge.
Le courant était fort, Thomas ne pouvait avancer que
lentement. Des carreaux venaient l’éclabousser. Juste devant lui, un homme fut
atteint à la gorge. Le poids de sa cotte de mailles l’entraîna et il ne resta
plus de lui qu’un petit tourbillon sanglant. Les plats-bords des bateaux
étaient criblés de flèches. Le cadavre d’un Français, affalé sur le bord d’un
navire, était secoué chaque fois qu’une flèche l’atteignait. Du sang s’écoulait
d’un dalot.
— Tuez-les, tuez-les, marmonnait un homme près de
Thomas.
C’était l’un des sergents du comte de Warwick. Voyant qu’il
ne parvenait pas à arrêter l’assaut, il avait décidé de s’y joindre. Il tenait
un cimeterre, mi-épée, mi-hachoir de boucher.
Le vent ramena la fumée des maisons en flammes vers la
rivière, emplissant l’air de brindilles de paille enflammées. Quelques-unes de
ces brindilles s’étaient logées dans les voiles ferlées de deux bateaux, qui
avaient pris feu. Leurs défenseurs s’étaient regroupés sur la rive. D’autres
faisaient retraite devant les premiers soldats anglais et gallois qui, couverts
de boue, étaient montés sur la berge entre les bateaux. Dans l’air, au-dessus
des têtes, les flèches sifflaient. Les cloches de l’île sonnaient toujours. De
la tour de la barbacane, un Français donna l’ordre d’aller attaquer les Gallois
et les Anglais qui pataugeaient et glissaient dans la boue.
Thomas continua d’avancer. L’eau atteignit sa poitrine puis
se mit à redescendre. Il progressait avec peine dans la boue de la rivière en
ignorant les carreaux qui s’enfonçaient dans l’eau autour de lui. Un
arbalétrier se dressa derrière un plat-bord et visa Thomas en pleine poitrine,
mais au même moment il fut frappé par deux flèches et tomba à la renverse.
Thomas avança plus vite, il remontait. Puis, brusquement, il se trouva hors de
la rivière. Il pataugea dans la boue glissante jusqu’à la proue surplombante du
navire le plus proche, où il put s’abriter. Il voyait que le combat se
poursuivait à la barricade et que la rivière grouillait d’archers et de
hobelars. Couverts de boue, ils commençaient à se hisser sur les bateaux. À
part leurs arbalètes, les défenseurs ne disposaient que de peu d’armes, tandis
que la plupart des archers avaient des épées et des haches. Le combat étant
déséquilibré, le massacre fut bref. Puis, la masse des assaillants, sans chef
et en désordre, quitta les ponts couverts de sang des bateaux et entra dans
l’île.
L’homme d’armes du comte de Warwick marchait devant Thomas.
Il escalada la berge
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