La lance de Saint Georges
Saint
Georges ! » À présent, le comte était sorti des roseaux et se tenait
sur l’herbe, au-dessus des marques indiquant le niveau supérieur de l’eau.
Derrière lui, la rivière était un charnier rempli de morts, de blessés, de sang
et de cris.
Le père Hobbe, la soutane remontée à sa ceinture, se battait
avec un bâton qu’il envoyait sur la figure des Français. « Au nom du
Père », cria-t-il. Un Français recula, l’œil rouge. « Et du
Fils », continua-t-il en brisant le nez d’un homme. « Et du
Saint-Esprit ! »
Un chevalier français franchit les rangs anglais, mais des
archers s’attroupèrent autour du cheval. Ils lui coupèrent les jarrets et
tirèrent dans la boue son cavalier qu’ils frappèrent à coups de hache, de serpe
et d’épée.
— Archers ! cria le comte, archers !
Les derniers cavaliers français se mettaient en place pour
livrer une charge qui menaçait de jeter à la rivière la masse d’hommes
hurlants, Français et Anglais, qui se battaient sur la berge. Mais une douzaine
d’archers, les derniers à avoir encore des flèches, envoyèrent leurs traits et
le premier rang de cavaliers s’effondra dans un enchevêtrement de jambes de
chevaux et d’armes abandonnées.
Une autre trompette sonna, cette fois du côté anglais. Des
renforts traversèrent la rivière et remontèrent sur l’autre rive.
— Ils cèdent ! Ils cèdent !
Thomas ne vit pas celui qui annonçait cette nouvelle mais
elle était vraie. Les Français reculaient. Leur infanterie, décimée, s’était
déjà retirée. À présent, les chevaliers se repliaient devant la furie de
l’assaut anglais.
— Tuez-les ! Pas de prisonniers ! hurla le
comte en français.
Ses hommes d’armes, couverts de sang et de sueur, fatigués
et furieux, montèrent la rive et attaquèrent une nouvelle fois les Français qui
firent un autre pas en arrière.
Et puis l’ennemi se dispersa. Ce fut soudain. Les deux
forces luttaient pied à pied et tout d’un coup les Français se mirent à courir
et la rivière fut envahie d’hommes d’armes à cheval qui traversaient afin de
poursuivre l’ennemi désemparé.
— Jésus, dit Will Skeat en se laissant tomber à genoux
et en faisant le signe de la croix.
Auprès de lui un Français agonisant gémissait mais Skeat ne
lui prêtait aucune attention.
— Jésus, répéta-t-il, combien te reste-t-il de flèches,
Tom ?
— Encore deux.
— Jésus.
Skeat releva la tête. Il avait du sang sur les joues.
— Les cornards, dit-il plein de ressentiment.
Il parlait des hommes d’armes récemment arrivés qui
écrasaient sur leur passage ce qui restait des combattants pour aller harceler
l’ennemi en fuite.
— Ces cochons vont entrer les premiers dans leur camp,
pas vrai ? Ils vont ramasser toute la nourriture !
Mais le gué était pris, le piège était brisé et les Anglais
traversaient la Somme.
TROISIÈME PARTIE
Crécy
11
L’armée anglaise traversa avant que la marée ne remonte.
Chevaux, chariots, hommes et femmes, tous traversèrent sains et saufs, de sorte
que l’armée française, s’avançant depuis Abbeville pour les enfermer, ne trouva
qu’un coin de terre vide entre la rivière et la mer.
Durant toute la journée du lendemain, les deux armées se
firent face de part et d’autre du gué. Les Anglais se mirent en ordre de
bataille, disposant leurs quatre mille archers le long de la rivière et plaçant
derrière trois grands corps d’hommes d’armes sur le terrain plus élevé, mais
les Français, étirés sur les chemins qui conduisaient au gué, ne furent pas
tentés de forcer le passage. Une poignée de leurs chevaliers s’engagea dans
l’eau pour lancer défis et invectives, mais le roi ne laissa aucun chevalier
anglais leur répondre, et les archers, sachant qu’ils devaient économiser leurs
flèches, supportèrent les insultes sans répliquer.
— Laissez-les crier, gronda Will Skeat, les cris n’ont
jamais blessé personne jusqu’à présent.
Il adressa un sourire à Thomas en ajoutant :
— Ça dépend de la personne, évidemment. Ça a rendu sir
Simon furieux, n’est-ce pas ?
— Ce n’était qu’une canaille.
— Non, Tom, corrigea Skeat, la canaille c’était toi, et
lui le gentilhomme.
Skeat regarda les Français, de l’autre côté de l’eau. Ils ne
manifestaient aucune intention de disputer le gué.
— La plupart d’entre eux, continua-t-il en parlant à
l’évidence
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