La lance de Saint Georges
J’écoute les
conversations, Thomas ! Ils sont trop nombreux.
Thomas se signa. Si Jeannette avait raison, et il n’y avait pas
lieu de croire qu’elle voulait le tromper, cela signifiait que les chefs de
l’armée avaient déjà abandonné tout espoir, mais cela ne voulait pas dire pour
autant qu’il devait se désespérer.
— Il faudra d’abord qu’ils nous battent, dit-il d’un
air buté.
— Ils vont le faire, répondit brutalement Jeannette, et
alors qu’adviendra-t-il de moi ?
— Qu’adviendra-t-il de vous ? demanda Thomas avec
surprise.
Il s’appuya avec précaution contre le mur fragile de l’abri.
Il se rendait compte qu’Eléonore avait déjà dû remettre la nourriture et
revenir rapidement pour écouter discrètement.
— Pourquoi serais-je concerné, dit-il à haute voix, par
ce qui vous arrive ?
Jeannette lui jeta un regard noir.
— Vous m’avez un jour juré de m’aider à retrouver mon
fils.
Thomas se signa une nouvelle fois.
— Oui, je l’ai fait, madame, admit-il en se disant
qu’il faisait trop facilement des serments. Un seul était bien suffisant pour
une vie entière, et il en avait fait plus qu’il ne pouvait s’en souvenir.
— Alors aidez-moi, exigea Jeannette.
Thomas sourit.
— Il faut d’abord que la bataille soit gagnée, madame.
Jeannette fit la grimace, gênée par la fumée qui envahissait
le petit abri.
— Si on me trouve dans le camp anglais après la
bataille, Thomas, je ne reverrai plus jamais Charles.
— Pourquoi ? Vous ne serez nullement en danger,
madame. Vous n’êtes pas une femme du commun. Il n’y a peut-être pas beaucoup
d’esprit chevaleresque quand les armées s’affrontent, mais on le trouve dans
les tentes de la royauté.
Jeannette eut un mouvement impatient de la tête.
— Si les Anglais gagnent, dit-elle, il se pourrait que
je revoie Charles parce que le duc voudra se mettre en faveur auprès du roi.
Mais s’ils perdent, Thomas, alors je perds tout.
Nous étions là, pensa Thomas, au cœur du problème. Si les
Anglais étaient battus, Jeannette risquait de perdre tout ce qu’elle avait reçu
au cours de ces dernières semaines, tous les cadeaux du prince. Il apercevait à
son cou un collier, à demi caché par son manteau, qui semblait bien être en
rubis, et il ne faisait pas de doute qu’elle devait posséder des pierres
précieuses serties dans de l’or.
— Qu’attendez-vous de moi ? lui demanda-t-il.
Elle se pencha vers lui en baissant la voix.
— Vous et une poignée d’hommes, emmenez-moi vers le
sud. Je peux louer un bateau au Crotoy et faire voile vers la Bretagne. J’ai de
l’argent désormais. Je peux payer mes dettes à La Roche-Derrien et traiter avec
cet avocat véreux. Personne ne saura que j’étais ici.
— Le prince le saura, dit Thomas.
Elle sursauta.
— Vous croyez qu’il voudra toujours de moi ?
— Que sais-je de lui ?
— Il se fatiguera de moi. C’est un prince. Il s’empare
de ce qu’il veut et quand il s’en est lassé, il cherche ailleurs. Mais il a été
bon avec moi, je ne peux pas me plaindre.
Thomas se tut un instant. Il songea à ces tranquilles jours
d’été où ils avaient vécu comme des vagabonds.
— Et votre fils ? demanda-t-il, comment le
récupérerez-vous ? Allez-vous payer pour l’obtenir ?
— Je trouverai un moyen, répondit-elle évasivement.
Elle allait probablement essayer de faire enlever l’enfant,
pensa Thomas. Et après tout, pourquoi pas ? Si elle pouvait engager
quelques hommes, ce serait possible. Peut-être escomptait-elle qu’il le fasse
lui-même ? À l’instant où cette pensée lui vint à l’esprit, Jeannette le
regarda dans les yeux.
— Aidez-moi, lui dit-elle, je vous en prie.
— Non, dit Thomas, pas maintenant.
Il leva une main pour arrêter une protestation de sa part.
— Un jour, si Dieu le veut, continua-t-il, je vous
aiderai à retrouver votre fils, mais je n’abandonnerai pas l’armée maintenant.
S’il doit y avoir une bataille, madame, ma place est ici avec les autres.
— Je vous en supplie.
— Non.
— Eh bien allez au diable !
Elle releva le capuchon de son manteau sur ses cheveux noirs
et sortit dans les ténèbres. Peu après, Eléonore entra.
— Qu’en penses-tu ? lui demanda Thomas.
— Je pense qu’elle est jolie, répondit évasivement
Eléonore.
Puis elle fronça les sourcils.
— Et je pense aussi que pendant la bataille de demain
un homme
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