La lance de Saint Georges
pourrait te saisir par la tresse. Tu devrais la couper.
Thomas parut hésiter.
— Voudrais-tu aller au sud ? Échapper à la
bataille ?
Eléonore lui jeta un regard de reproche.
— I am an archer’s woman, répondit-elle, et tu
n’iras pas au sud. Will dit que tu es un « goddam fool » de
laisser de la si bonne nourriture, mais il te remercie quand même. Et le père
Hobbe te fait savoir qu’il dira une messe demain matin et qu’il espère que tu y
seras.
Thomas sortit son couteau et le lui donna, puis il pencha la
tête. Elle coupa la tresse et une bonne poignée de cheveux noirs qu’elle jeta
au feu. Thomas ne dit rien, il pensait à la messe du père Hobbe. Une messe pour
les morts, ou pour ceux qui allaient mourir.
Dans l’obscurité humide, au-delà de la forêt, la puissance
de la France approchait. Les Anglais avaient échappé à l’ennemi par deux fois
en traversant des cours d’eau réputés infranchissables, mais ils ne pourraient
pas s’échapper une troisième fois. Les Français avaient fini par les attraper.
Le village se trouvait à une courte distance au nord de la
lisière de la forêt dont il était séparé par une petite rivière qui serpentait
parmi de tranquilles prairies inondées. Ce village n’avait rien de
remarquable : une mare aux canards, une petite église, une vingtaine de maisons
avec d’épais toits de chaume, de petits jardins et de gros tas de fumier. Il
s’appelait Crécy et donnait son nom à la forêt.
Au nord du village, les champs montaient vers une longue
colline qui faisait face au nord et au sud. Une route de campagne, creusée
d’ornières, suivait la crête pour relier Crécy à un autre village tout aussi
ordinaire nommé Wadicourt. Si une armée devait avancer depuis Abbeville et
encercler la forêt de Crécy, elle se dirigerait vers l’ouest à la recherche des
Anglais et, au bout d’un moment, elle apercevrait en face d’elle la colline
entre Crécy et Wadicourt. Elle verrait les clochers en forme de chicots des
deux petits villages et entre eux, mais bien plus près de Crécy et haut sur la
crête où ses ailes pouvaient prendre le vent, un moulin. La pente en face des
Français était longue et douce, libre de toute haie ou fossé, un terrain idéal
pour les destriers des chevaliers.
L’armée anglaise fut éveillée avant l’aube. C’était le
samedi 26 août. Les hommes se plaignaient du froid inhabituel. Les feux furent
ranimés et leurs flammes se reflétèrent sur les cuirasses. Le village de Crécy
avait été occupé par le roi et ses principaux seigneurs dont certains avaient
dormi dans l’église. Ces hommes étaient encore en train de s’armer quand un chapelain
de la maison du roi entra pour dire la messe. On alluma les cierges, une
clochette fit entendre son tintement et le prêtre, sans se préoccuper du bruit
des armures qui emplissait la petite nef, demanda l’aide de saint Zéphyrin et
de saint Gélase qui, tous deux, en appelèrent à Genès. Ces trois bienheureux
avaient leur fête ce jour-là. Le prêtre chercha aussi le soutien du petit Hugh
de Lincoln, un enfant assassiné par les juifs ce même jour, presque deux cents
ans auparavant. Ce petit garçon, qui, disait-on, avait montré de remarquables
signes de piété, avait été retrouvé mort et personne ne pouvait comprendre
comment Dieu avait pu permettre que ce parangon de vertu soit enlevé à un âge
si tendre. Or il y avait à Lincoln des juifs dont la présence expliquait tout.
Le prêtre prononça une prière. « Saint Zéphyrin, donne-nous la victoire,
saint Gélase, soutiens nos hommes, saint Genès, veille sur nous et donne-nous
la force. Et toi, petit Hugh, petit enfant dans les bras de Dieu, intercède en
notre faveur. Mon Dieu, dans ta grande pitié, épargne-nous. »
Les chevaliers s’approchèrent de l’autel en chemise pour
recevoir les sacrements.
Dans la forêt, les archers s’agenouillèrent devant d’autres
prêtres. Ils se confessèrent, prirent le pain rassis qui était le corps du
Christ et firent le signe de la croix. Aucun d’entre eux ne savait qu’il y
aurait une bataille, mais ils sentaient que la campagne approchait de sa fin et
qu’ils allaient combattre ce jour-là ou le suivant. « Donne-nous
suffisamment de flèches et la terre sera rouge », priaient les archers en
tendant leurs arcs aux prêtres qui les bénissaient.
Les lances furent sorties. Elles avaient été transportées
sur des chevaux de
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