La lance de Saint Georges
taverne régnait une
atmosphère chaleureuse et amicale. Thomas dévora la nourriture avec appétit,
puis il tenta de se dissimuler dans l’encoignure d’une fenêtre lorsqu’il vit le
père Hobbe faire irruption dans l’établissement. Cela n’empêcha pas le prêtre
de le découvrir.
— J’ai besoin d’hommes pour garder les églises, Thomas.
— Je vais m’enivrer, mon père, dit Thomas d’un ton
joyeux, m’enivrer jusqu’à ce que l’une de ces deux filles me paraisse jolie.
Il désigna de la tête les filles de la veuve.
Le père Hobbe leur jeta un regard critique, puis poussa un
soupir.
— Tu vas te tuer, si tu bois tant que ça, Thomas.
Il s’assit, fit un signe aux filles et montra le pichet de
Thomas.
— Je vais boire avec toi, dit le prêtre.
— Et les églises ?
— Bientôt ils seront tous suffisamment saouls et
l’horreur prendra fin. C’est toujours comme ça. Dieu sait si la bière et le vin
sont causes de péché, mais ils le font durer moins longtemps. Par les os du
Christ, qu’il fait froid !
Il sourit à Thomas.
— Comment va ton âme noire, Tom ?
Thomas examina le prêtre. Il aimait bien le père Hobbe.
C’était un petit homme frêle avec une masse de cheveux noirs indisciplinés
au-dessus d’un visage joyeux fortement marqué par la petite vérole. Il était de
basse extraction, fils d’un charron du Sussex, et à l’instar de tous les
garçons de la campagne il savait tirer à l’arc. Parfois, il accompagnait les
hommes de Skeat dans leurs incursions sur les terres du duc Charles, se
joignant volontiers aux archers lorsqu’ils descendaient de cheval pour former
une ligne de bataille. Le règlement de l’Église interdisait à un prêtre de se
servir d’une arme tranchante mais le père Hobbe prétendait qu’il utilisait des
flèches sans pointes. Pourtant, il semblait qu’elles fussent capables de percer
une cotte de mailles aussi efficacement que toute autre. En bref, le père Hobbe
était un homme dont le seul défaut était de s’intéresser d’un peu trop près à
l’âme de Thomas.
— Mon âme, dit Thomas, est soluble dans la bière.
— En voilà un joli mot, repartit le père Hobbe,
« soluble », eh, eh !
Il prit l’arc noir et, d’un doigt sale, donna un petit coup
sur l’insigne en argent.
— As-tu découvert quelque chose à ce sujet ?
— Non.
— Tu ne sais toujours pas qui a volé la lance ?
— Non.
— T’en soucies-tu encore ?
Thomas se renversa sur sa chaise et étendit ses longues
jambes.
— Je fais du bon travail, mon père. Nous sommes en
train de gagner cette guerre et cette fois, peut-être l’année prochaine, qui
sait, il se pourrait bien que nous en mettions un bon coup sur le nez du roi de
France.
Le père Hobbe approuva, bien que l’expression de son visage
indiquât qu’il trouvait à redire à la formulation de Thomas. Il promena son
doigt sur la table, au travers d’une trace de bière.
— Tu as fait une promesse à ton père, Thomas, et tu
l’as faite dans une église. N’est-ce pas ce que tu m’as dit ? Une promesse
solennelle, Thomas ! Celle de ramener la lance. Dieu écoute de tels vœux.
Thomas sourit.
— À l’extérieur de cette taverne, père, il y a tant de
viols, de meurtres et de vols qui se commettent que toutes les plumes du ciel
ne peuvent noter la liste de ces péchés. Et vous vous faites du souci pour
moi ?
— Oui, Thomas. Certaines âmes sont meilleures que
d’autres. Il me faut veiller sur toutes, mais s’il y a un bélier de valeur dans
le troupeau, il est bon de veiller sur lui.
Thomas soupira.
— Un jour, mon père, je trouverai l’homme qui a volé
cette satanée lance et je la lui enfoncerai dans le fondement jusqu’à ce
qu’elle lui gratte l’intérieur du crâne. Un jour… Ça vous va ?
Le père eut un sourire de béatitude.
— Ça ira, Thomas, mais pour l’heure il y a une petite
église qui aurait bien besoin d’un homme de plus à sa porte. Elle est remplie
de femmes ! Certaines d’entre elles sont si belles que ça fend le cœur de
les regarder. Tu pourras te saouler plus tard.
— Ces femmes sont vraiment belles ?
— À quoi penses-tu, Thomas ? La plupart
ressemblent à des chauves-souris et sentent comme des chèvres, mais elles ont
tout de même besoin de protection.
C’est ainsi que Thomas participa à la garde d’une église et
ensuite, lorsque l’armée fut suffisamment ivre pour ne plus
Weitere Kostenlose Bücher