La lance de Saint Georges
d’eau froide.
— Tiens ça comme ça, Tom, la douleur va s’en aller.
Enfin, pas vraiment, mais tu vas t’y habituer.
Il s’assit sur un tonneau vide en dodelinant de la tête.
— Doux Jésus, Tom, qu’allons-nous pouvoir faire pour
toi ?
— Vous avez fait ce qu’il fallait, répondit Thomas, et
je vous en suis reconnaissant. Encore un jour ou deux et je sauterai comme un
agneau de printemps.
— C’est ce que tu fais depuis trop longtemps, Tom, dit
le père Hobbe d’un air sérieux.
Jeannette, qui ne comprenait pas un mot, se contentait
d’observer les deux hommes.
— Dieu t’a donné une tête bien faite, continua le
prêtre, mais tu gaspilles tes capacités, Tom, vraiment tu les gaspilles.
— Vous voulez que je devienne prêtre ?
Le père Hobbe eut un sourire.
— Je doute que tu apportes beaucoup de crédit à
l’Église, Tom. Tu finirais probablement archevêque parce que tu es assez
intelligent et retors pour cela, mais je pense que tu seras plus heureux comme
soldat. Mais tu as une dette envers Dieu. Souviens-toi de la promesse que tu as
faite à ton père ! Tu l’as faite dans une église, et il serait bon pour
ton âme que tu tiennes cette promesse.
Thomas se mit à rire et immédiatement le regretta, car une
douleur fulgurante lui traversait les côtes. Il jura, s’excusa auprès de
Jeannette puis son regard revint vers le prêtre.
— Et comment, au nom du ciel, puis-je tenir cette
promesse, mon père ? Je ne sais même pas quel bâtard a volé la lance.
— Quel bâtard ? demanda Jeannette qui avait saisi
ce mot. Sir Simon ?
— C’est un bâtard, dit Thomas, mais ce n’est pas le
seul.
Il lui raconta l’histoire de la lance, de la destruction de
son village, de la mort de son père, de l’homme qui portait une bannière ornée
de faucons or sur un fond azur.
Il raconta lentement l’histoire, les lèvres saignantes, et
quand il eut fini Jeannette eut un tressaillement.
— Alors vous voulez tuer cet homme ?
— Un jour.
— Il mérite d’être tué, dit Jeannette.
Thomas la regarda au travers de ses yeux mi-clos.
— Vous le connaissez ?
— Il s’appelle messire Guillaume d’Evecque, dit
Jeannette.
— Que dit-elle ? demanda le père Hobbe.
— Je le connais, dit Jeannette avec un air sévère. À Caen,
d’où il vient, on l’appelle parfois le seigneur de la mer et de la terre.
— Parce qu’il combat sur ces deux éléments ?
devina Thomas.
— C’est un chevalier, dit Jeannette, mais aussi un
écumeur des mers, un pirate. Mon père possédait seize bateaux et Guillaume
d’Evecque en a volé trois.
— Il vous a attaqués ?
Thomas paraissait surpris. Jeannette haussa les épaules.
— Il considère que tout bateau qui n’est pas français
est un bateau ennemi. Et nous, nous sommes bretons.
Thomas regarda le père Hobbe.
— Eh bien voilà, mon père, dit-il d’un ton léger, pour
tenir ma promesse, tout ce que je dois faire, c’est combattre le chevalier de
la mer et de la terre.
Le père Hobbe n’avait pas compris l’échange en français,
mais il remua la tête avec tristesse.
— La façon dont tu tiens ta promesse, Thomas, c’est ton
affaire. Mais Dieu sait que tu l’as faite, et moi, je sais que tu n’entreprends
rien pour la tenir.
Il tripota la croix en bois pendue à son cou par une lanière
de cuir.
— Que dois-je faire au sujet de sir Simon ?
— Rien, répondit Thomas.
— Il faut au moins que j’en parle à Totesham !
insista le prêtre.
— Non, mon père, promettez-le-moi, dit Thomas tout
aussi insistant.
Le père Hobbe regarda Thomas avec méfiance.
— As-tu l’intention de te venger ?
Thomas se signa et en même temps poussa une sorte de
sifflement à cause de la douleur que lui causait sa côte.
— Notre Mère l’Église ne nous dit-elle pas de tendre
l’autre joue ? demanda-t-il.
— En effet, dit le père Hobbe dubitatif, mais elle
n’excuserait pas ce que sir Simon a fait ce soir.
— Nous devons détourner sa colère en réagissant avec
douceur, dit Thomas.
Le prêtre, impressionné par cette manifestation
d’authentique foi chrétienne, approuva la décision de Thomas.
Jeannette, qui avait suivi leur entretien du mieux qu’elle
pouvait, avait compris de quoi il était question.
— Êtes-vous en train de parler de ce que vous allez
faire à sir Simon ? demanda-t-elle à Thomas.
— Je vais occire cette crapule, dit Thomas en
Weitere Kostenlose Bücher