La lance de Saint Georges
Bretons avaient
considéré que c’était une place sûre pour leurs biens. Et voilà qu’elle était
complètement vidée. Un homme passa en titubant près de Thomas, les bras chargés
de plats en argent, un autre tirait une femme à demi dénudée par les lambeaux
de sa chemise de nuit. Un groupe d’archers avaient ouvert une cuve et y
plongeaient la tête pour en boire le vin.
— Ça a été plutôt facile d’entrer ici, dit Skeat, mais
pour en faire ressortir ces soiffards, seul le diable pourra y arriver.
Sir Simon frappa du plat de son épée le dos de deux ivrognes
qui se trouvaient sur le passage de ses hommes occupés à vider un magasin de
ses coupons de tissu. Il aperçut Thomas et parut surpris, mais il se méfiait
trop de Will Skeat pour dire quoi que ce soit. Il se contenta de se détourner.
— Ce crapaud a dû payer ses dettes à l’heure qu’il est,
dit Skeat en continuant à regarder le dos de sir Simon. La guerre est un bon
moyen de devenir riche, à condition de ne pas être fait prisonnier et rançonné.
Ce n’est pas pour toi ou moi qu’on demanderait une rançon. Ils nous couperaient
les parties et nous feraient sauter les yeux des orbites, plus probablement.
T’es-tu déjà servi d’une arbalète ?
— Non.
— Ce n’est pas aussi facile que ça en a l’air. Bien sûr,
ce n’est pas aussi difficile que tirer avec un arc véritable, mais tout de même
ça demande de la pratique. Ces choses-là peuvent tirer un peu trop haut quand
on n’en a pas l’habitude. Est-ce que Jake et Sam sont d’accord pour
t’aider ?
— C’est ce qu’ils m’ont dit.
— Bien sûr qu’ils le sont, ces mauvais bougres.
Skeat continuait à regarder sir Simon qui portait sa
nouvelle armure étincelante.
— Je pense que cette crapule aura son argent sur lui.
— C’est probable, oui.
— La moitié pour moi, Tom, et je ne poserai pas de
questions quand viendra samedi.
— Merci, Will.
— Mais fais-le proprement, Tom, dit Skeat avec un
regard farouche, fais-le proprement. Je ne veux pas te voir au bout d’une
corde. Ça m’est égal de regarder des imbéciles faire la danse de la corde, avec
la pisse qui coule le long de leurs jambes, mais ce serait triste de te voir te
balancer en allant chez le diable.
Ils retournèrent sur les remparts. Aucun des hommes de garde
n’avait pris le moindre butin, mais ils avaient déjà pris plus qu’il ne leur
fallait au cours de leurs expéditions contre les fermes du nord de la Bretagne.
C’était au tour des hommes de Totesham de se gorger sur la ville prise.
Les maisons furent fouillées une à une et les barriques des
tavernes furent vidées. Richard Totesham voulait que ses forces quittent
Lannion à l’aube, mais trop de charrettes attendaient de franchir l’étroite
porte est, et il n’y avait pas tout à fait assez de chevaux pour les tirer,
aussi les hommes préféraient-ils tirer eux-mêmes les brancards plutôt que de
laisser le produit de leur rapine derrière eux. D’autres étaient ivres morts,
si bien que les hommes d’armes de Totesham durent ratisser la ville pour les
retrouver. Mais c’est le feu qui tira la plupart des ivrognes de leurs refuges.
Les Anglais incendiaient les toits de chaume, faisant fuir les habitants vers
le sud.
La fumée s’épaissit au point de former une large colonne
poussée vers le sud par une petite brise marine. À sa base la colonne était
d’un rouge sinistre, et ce fut ce spectacle qui informa les forces de Guingamp
qu’elles arrivaient trop tard pour sauver la ville. Elles avaient fait marche
dans la nuit avec l’espoir de trouver un endroit propice à une embuscade contre
les hommes de Totesham, mais le mal était déjà fait. Lannion brûlait et ses
richesses s’empilaient sur des charrettes qui franchissaient sa porte. Mais si
on ne pouvait plus tendre une embuscade aux Anglais à leur approche de la
ville, ils pouvaient être surpris pendant leur départ, c’est pourquoi les
commandants envoyèrent leurs forces vers l’est, en direction de la route qui
conduisait à La Roche-Derrien.
Ce fut Jake à l’œil de travers qui aperçut le premier les
ennemis. Il regardait vers le sud dans une brume couleur de perle qui
recouvrait les terres basses quand il distingua des ombres. Tout d’abord, il
crut que c’était un troupeau de vaches, puis il se dit que c’étaient
certainement des habitants de la ville en fuite. Mais ensuite il vit une
bannière et une lance et
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