La lance de Saint Georges
un
fuyard, Jeannette était sa seule alliée et elle était trop puissante et trop
haut placée pour lui.
Les cloches sonnèrent la fermeture des portes de la ville.
Les veilleurs commencèrent leurs rondes, surveillant les feux qui pouvaient détruire
la ville en quelques heures. Les sentinelles se déplacèrent sur les remparts et
les bannières du duc Charles se mirent à flotter au sommet de la citadelle.
Thomas faisait partie de ses ennemis ; il n’était protégé par rien d’autre
que son esprit et une robe de dominicain. Et il était seul.
À mesure qu’elle approchait de la citadelle, Jeannette
devint de plus en plus nerveuse, mais elle s’était persuadée que Charles de
Blois accepterait de la prendre en charge lorsqu’il verrait son fils, qui portait
son prénom. Le mari de Jeannette lui avait toujours dit que le duc lui
accorderait son affection si seulement il avait l’occasion de mieux la
connaître. Il était exact que le duc s’était montré froid par le passé, mais
ses lettres avaient dû le convaincre de son allégeance et, à tout le moins,
elle était certaine qu’il serait assez chevaleresque pour protéger une femme en
détresse.
À sa grande surprise, il lui fut plus facile de pénétrer
dans la citadelle qu’il ne lui avait été de négocier à la porte de la ville.
Les sentinelles lui firent signe de franchir le pont-levis, de passer sous
l’arche de la porte et d’entrer dans une grande cour entourée d’écuries, de
chambres et de magasins. Une vingtaine d’hommes d’armes s’exerçaient à l’épée,
produisant des étincelles dans le jour déclinant de cette fin d’après-midi. Une
plus grande quantité d’étincelles provenaient d’une forge où l’on ferrait un
cheval. L’odeur de corne brûlée se mélangeait à la puanteur d’un tas d’ordures
et à celle d’un cadavre en décomposition suspendu à des chaînes contre le mur
de la cour. Un placard laconique indiquait qu’il s’agissait d’un voleur.
Un valet la fit entrer par une seconde porte dans une grande
pièce froide où des gens attendaient pour présenter une requête au duc. Le
clerc lui demanda son nom et leva un sourcil dans sa surprise silencieuse
lorsqu’elle se présenta.
— Sa Grâce sera informée de votre présence, dit l’homme
d’une voix ennuyée.
Puis il indiqua à Jeannette un banc de pierre qui courait le
long d’un mur de la salle.
Pierre posa l’armure sur le sol et s’accroupit à côté,
pendant que Jeannette s’asseyait sur le banc. Certains visiteurs allaient et
venaient en serrant dans leur main des rouleaux de parchemin et en prononçant
en silence les mots qu’ils allaient utiliser devant le duc. D’autres se
plaignaient auprès du clerc qu’ils attendaient depuis trois, quatre ou même
cinq jours. Combien de temps encore faudrait-il patienter ? Un chien leva
la jambe contre une colonne puis deux garçons, de six ou sept ans, firent irruption
dans la salle avec de petites épées en bois. Ils regardèrent les visiteurs un
instant avant de monter en courant quelques marches gardées par des hommes
d’armes. Ils devaient être les fils du duc, supposa Jeannette qui imagina
Charles se liant d’amitié avec eux.
— Tu vas être heureux ici, lui dit-elle.
— J’ai faim, maman.
— Nous mangerons bientôt.
Elle attendit. Deux femmes passèrent dans le couloir, en
haut des marches, vêtues de vêtements clairs faits d’un riche tissu qui
paraissait flotter derrière elle. Jeannette se sentit mal habillée dans son
velours rouge froissé.
— Tu devras être poli avec le duc, dit-elle à Charles
que la faim commençait à rendre grognon. Il faudra t’agenouiller devant lui.
Sais-tu le faire ? Montre-moi comment tu t’agenouilles.
— Je veux rentrer à la maison, dit Charles.
— Fais-le pour maman, montre-moi comment tu
t’agenouilles… C’est bien !
Jeannette passa sa main dans les cheveux de son fils pour le
complimenter puis essaya aussitôt de les remettre en place. Du haut des marches
venait le son d’une harpe et d’une flûte et Jeannette se mit à penser, pleine
de désirs, à la vie qu’elle espérait. Une vraie vie de comtesse, avec de la
musique et des hommes bien faits, une vie d’élégance et de pouvoir. Elle
reconstruirait Plabennec, bien qu’elle ne sache pas encore avec quelles
ressources, mais elle agrandirait la tour et ferait construire un escalier
comme celui de cette salle. Une heure passa, puis une
Weitere Kostenlose Bücher