La lance de Saint Georges
fils nous est cher et nous désirons qu’il
soit élevé pour devenir un guerrier comme son père.
Il se tourna vers le prêtre et pencha la tête. Le prêtre
s’inclina une nouvelle fois, plein de dignité, puis il quitta la pièce.
Le duc se leva, alla vers le feu et tendit ses mains vers
les petites flammes.
— Nous avons remarqué, dit-il d’un ton distant, que les
rentes de Plabennec n’ont pas été payées, ces douze derniers quartiers.
— Les Anglais sont en possession du domaine, Votre
Grâce.
— Vous êtes en dette envers moi, dit le duc qui
regardait les flammes en fronçant les sourcils.
— Si vous protégez mon fils, Votre Grâce, je serai pour
toujours votre débitrice, dit humblement Jeannette.
Le duc ôta sa coiffure et passa une main dans ses cheveux
blonds. Jeannette se dit qu’il avait l’air plus jeune et plus gentil ainsi,
mais les mots qu’il prononça alors la glacèrent.
— Je ne voulais pas qu’Henri vous épouse.
Il s’interrompit brutalement.
Cette franchise laissa Jeannette muette un court instant.
— Mon mari regrettait la désapprobation de Votre Grâce,
finit-elle par dire d’une petite voix.
Sans prêter attention aux paroles de Jeannette, le duc
continua :
— Il aurait dû épouser Lisette de Picardie. Elle avait
de l’argent, des terres, des tenanciers. Elle aurait apporté de grandes
richesses à notre famille. En période de trouble, la richesse est…
Il s’arrêta pour chercher le mot juste.
— Un tampon. Vous, madame, vous ne possédez pas de
tampon.
— Je n’ai que la mansuétude de Votre Grâce, dit
Jeannette.
— Je prends votre fils à ma charge, dit le duc. Il sera
élevé dans ma maison et apprendra les arts de la guerre et de la civilisation
ainsi qu’il convient à son rang.
— J’en suis reconnaissante.
Elle en avait assez d’être obséquieuse. Elle désirait que le
duc lui donne un signe d’affection, mais depuis qu’il s’était avancé vers
l’âtre, il ne la regardait pas dans les yeux.
Et soudain il se tourna vers elle.
— Il y a bien à La Roche-Derrien un homme de loi nommé
Belas ?
— Effectivement, Votre Grâce.
— Il m’a dit que votre mère était juive.
Il prononça ce mot avec une expression de dégoût.
Jeannette resta bouche bée. Incapable de parler, son esprit
chancelait, ne parvenant pas à croire que Belas ait pu dire une chose pareille.
Enfin, elle finit par protester avec un mouvement de dénégation de la
tête :
— Elle ne l’était pas !
— Il nous a dit aussi, continua le duc, que vous avez
présenté à Edouard d’Angleterre une requête pour les rentes de Plabennec.
— Quel autre choix avais-je ?
— Et que votre fils a été fait pupille d’Edouard ?
demanda le duc avec insistance.
Jeannette ouvrit la bouche et la referma. Les accusations se
succédaient si rapidement qu’elle ne savait comment se défendre. Il était exact
que son fils avait été fait pupille d’Edouard, mais non du fait de Jeannette.
En réalité, elle n’était pas présente lorsque le comte de Northampton avait pris
cette décision, mais avant même qu’elle ait pu élever une protestation le duc
reprenait :
— Belas nous a dit qu’à La Roche-Derrien beaucoup se
sont montrés satisfaits des occupants anglais ?
— Quelques-uns l’ont été, admit Jeannette.
— Et que vous, madame, avez des soldats anglais dans
votre propre maison pour vous protéger.
— Ils sont entrés chez moi de force !
répondit-elle indignée. Vous devez me croire ! Je ne voulais pas de leur
présence !
Le duc hocha la tête.
— Il nous semble, madame, que vous avez bien accueilli
nos ennemis. Votre père était un négociant en vin, n’est-ce pas ?
Jeannette était trop abasourdie pour répondre quoi que ce
soit.
Il lui apparaissait lentement que Belas l’avait trahie au
plus haut point et cependant elle s’accrochait encore à l’espoir que le duc
serait convaincu de son innocence.
— Je ne les ai pas bien accueillis, insista-t-elle, je
les ai combattus !
— Les marchands, dit le duc, n’ont de loyauté qu’envers
l’argent. Ils n’ont aucun sens de l’honneur. L’honneur ne s’apprend pas,
madame. Il vient de la race. De même qu’on élève un cheval pour qu’il soit
rapide et courageux, un chien pour qu’il soit agile et féroce, on élève un
noble pour l’honneur. On ne peut transformer un cheval de labour en destrier,
ni un marchand en
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