La lance de Saint Georges
gentilhomme. C’est contre nature et contre les lois divines.
Il fit un signe de croix.
— Votre fils est comte d’Armorique et nous l’élèverons
dans l’honneur, mais vous, madame, vous êtes la fille d’un marchand et vous
êtes une juive.
— Ce n’est pas vrai ! protesta Jeannette.
— N’élevez pas le ton avec moi, madame, dit le duc
d’une voix glaciale. Vous êtes un fardeau pour moi. Vous avez eu l’audace de
venir ici, déguisée sous une peau de renard, en espérant que je vous donnerais
un abri ? Et quoi d’autre ? De l’argent ? À votre fils, je
donnerai un toit, mais à vous, madame, je donnerai un mari.
Il marcha vers elle. Ses pas ne faisaient aucun bruit sur
les tapis en peau de cerf.
— Vous n’êtes pas une mère convenable pour le comte
d’Armorique. Vous avez hébergé l’ennemi, vous n’avez aucun sens de l’honneur.
— Je… commença Jeannette pour protester encore.
Mais le duc la gifla violemment.
— Vous allez vous taire, madame, ordonna-t-il.
Silence !
Il se mit à tirer sur les lacets de son corsage et quand
elle osa résister il la gifla une nouvelle fois.
— Vous êtes une putain, madame, dit le duc.
Puis, perdant patience, il prit les ciseaux, coupa les
lacets et dénuda la poitrine de Jeannette. Elle était tellement abasourdie,
assommée et horrifiée qu’elle ne tenta pas de se défendre. Ce n’était pas sir
Simon Jekyll mais son seigneur lige, le neveu du roi et l’oncle de son
mari !
— Vous êtes une jolie pute, madame, dit le duc en
ricanant. Comment avez-vous fait pour ensorceler Henri ? Grâce à la magie
juive ?
— Non, gémit Jeannette, non, je vous en prie.
Il la poussa si durement qu’elle tomba sur le lit. Le visage
du duc n’exprimait toujours aucune émotion – ni désir, ni plaisir, ni
colère. Il releva sa robe puis s’agenouilla sur le lit et la viola sans
manifester de satisfaction. S’il paraissait éprouver quelque chose, c’était de
la colère.
Quand ce fut terminé, il s’effondra sur Jeannette qui
pleurait, puis il tressaillit et s’essuya sur sa robe de velours.
— Je considérerai cette expérience, dit-il, comme le
paiement des rentes en retard de Plabennec.
Il se releva et ferma les pans de son vêtement.
— Vous serez placée dans une chambre ici, madame, et
demain je vous donnerai en mariage à l’un de mes hommes d’armes. Votre fils
restera ici, mais vous suivrez votre nouveau mari dans tous ses postes.
Jeannette gémissait sur le lit. Le duc eut une grimace de
dégoût puis traversa la pièce et s’agenouilla sur le prie-Dieu.
— Arrangez votre robe, madame, dit-il froidement, et
remettez-vous.
Jeannette parvint à refermer son corsage, après quoi elle
regarda le duc dans la lumière des chandelles.
— Vous n’avez aucun honneur, aucun honneur, lui
dit-elle.
Le duc l’ignora. Il sonna une clochette puis frappa dans ses
mains et ferma les yeux dans une attitude de prière. Il priait toujours quand
le prêtre et un serviteur entrèrent. Sans un mot, ils prirent Jeannette par les
bras et la conduisirent jusqu’à une petite chambre située sous les appartements
du duc, la poussèrent à l’intérieur et refermèrent la porte. Elle entendit le
bruit d’un verrou à l’extérieur. Il y avait un matelas de paille et plusieurs
balais dans cette sorte de cellule, mais pas d’autre meuble.
Elle s’étendit sur le matelas et pleura jusqu’à ce que son
cœur brisé soit épuisé.
Dehors, le vent hurlait à la fenêtre et la pluie battait
contre les volets. Jeannette aurait voulu être morte.
6
Les coqs éveillèrent Thomas. Un vent froid soufflait et la
pluie battait la bâche du chariot qui fuyait. Ayant ouvert le rabat, il
s’assit, regardant les flaques s’étendre sur les pavés de la cour. Il n’avait
reçu aucun message de Jeannette et, pensait-il, il n’y en aurait aucun. Will
Skeat avait raison. Elle était dure comme une cotte de mailles et maintenant
elle était dans le lieu qui lui convenait – autrement dit, dans cette aube
froide et humide, elle se trouvait probablement dans un lit profond à
l’intérieur d’une chambre chauffée par un feu qu’entretenaient les serviteurs
du duc. Elle avait dû oublier Thomas.
Et à quel message s’attendait-il donc ? Une déclaration
d’affection ? Il savait que c’était ce qu’il désirait, mais il s’était
persuadé qu’il attendait simplement que Jeannette lui fasse parvenir
Weitere Kostenlose Bücher