La Légion Des Damnés
nous commencions à prendre la chose très au sérieux !
— On ferait mieux de se tirer, dit Hans, nerveusement. Si les SS voient ces pauvres petites bavarder avec nous, ils vont les tabasser jusqu'à les estropier...
— On restera ici tant que ça nous fera plaisir ! se rebiffa Porta.
Hans jeta un coup d'œil de droite et de gauche, cherchant anxieusement la silhouette inquiétante de quelque gardien.
— D'accord ! Mais c'est pas nous qui trinquerons le plus si jamais on se fait pincer !
Il y avait du vrai dans ce qu'il disait. En restant là, nous exposions les trois femmes à des représailles inutiles, sous la forme de mauvais traitements que nous ne connaissions que trop bien nous-mêmes. Nous les regardions, indécis. Elles nous regardaient, résignées.
— Enfer et damnation ! jura Pluton. On devrait les emmener avec nous. Ces pauvres gosses sont maigres comme des clous...
— Et jolies tout de même, ajoutai-je.
Elles nous souriaient tristement. Nous leur jetâmes des cigarettes et nous nous attardâmes sur place un instant encore, réfléchissant, étudiant des possibilités, mais incapables de prendre une décision constructive.
Pour une raison ou pour une autre, le Vieux, en compagnie d'Asmus, surgit à ce moment de sous notre wagon.
— Inutile de tergiverser ! Est-ce qu'elles viennent avec nous, oui ou non ? Si c'est oui, faut pas attendre quinze jours !
Il était, comme toujours, parfaitement maître de lui et vif comme la foudre. En un rien de temps, il nous fit dresser une pyramide humaine contre un des poteaux. Grimpé sur les épaules d'Asmus et du gigantesque Pluton, il tendit aux trois jeunes femmes nos ceinturons agrafés bout à bout et les hissa l'une après l'autre par-dessus la clôture de barbelés. Hans, Porta et moi étions là, de l'autre côté, pour les recevoir dans nos bras. Puis Asmus, Hans et Pluton réintégrèrent notre wagon, flanquèrent dehors tous ceux qui n'étaient pas « de la maison » et fermèrent l'autre porte. Nous pûmes, ainsi, embarquer nos passagères à l'abri de tout regard indiscret.
Mais les complications, bien sûr, ne faisaient que débuter. Dans quel pétrin nous étions-nous fourrés ? Le cœur battant, nous commencions à piger que cette histoire était à peu près la plus dangereuse dans laquelle nous pouvions nous lancer. Quelque chose nous avait saisis par surprise. La vie ? (Pour employer un bien grand mot.) De toute manière, si nous étions effrayés par cette aventure dans laquelle nous avions plongé la tête la première, nous étions, aussi, heureux et fiers de l'avoir fait. Nous ressentions cette joie qui vient quand on se découvre capable de faire beaucoup plus qu'on ne le croyait soi-même. J'aimerais pouvoir expliquer ça sans avoir l'air de nous monter en épingle, mais chaque fois que j'entends parler d'actes héroïques, j'utilise cette situation comme critère de ce que peut être un acte vraiment héroïque et je dois dire qu'au contact de cette pierre de touche bien des exploits vantés ne m'inspirent, avec la meilleure volonté du monde, qu'une admiration extrêmement modérée.
Cette histoire peut être considérée comme une victoire de la solidarité humaine sur l'égoïsme engendré par la solitude.
— Pour revenir aux choses pratiques, conclut le Vieux lorsque nous fûmes à peu près remis de nos premières joies de conspirateurs, on ne peut pas leur laisser sur le dos ces frusques de prison. Il faut les saper autrement que ça. Sortez tout ce que vous avez, les gars, et pas de resquille !
En un clin d'œil, chaussettes, sous-vêtements, chemises, pantalons, chandails, treillis, bonnets, chaussures, jaillirent de quarante paquetages pour être proposés au choix de nos protégées.
Et quand elles ôtèrent calmement leurs robes rayées de prisonnières, sous lesquelles elles étaient nues, quarante soldats crasseux se détournèrent, d'un seul mouvement, et regardèrent dans la direction opposée. Dieu sait si nous formions une sacrée brochette de durs à cuire sans scrupule. C'est la civilisation, je suppose, qui nous avait conduits où nous étions, mais on voit, par cet exemple, qu'il ne faut pas être trop pessimiste, malgré tout, quant à la minceur du vernis de l'éducation, car c'est sa minceur même qui laisse à l'éducation innée, à l'éducation du cœur, la possibilité de se faire sentir. Et c'est encore autre chose qui nous poussa à laisser les trois femmes changer de vêtements en
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