La Légion Des Damnés
pouvoir espérer rencontrer les troupes allemandes de notre côté du Don, car nous savions qu'au nord de Voronesh, les Russes étaient à l'ouest du fleuve et contrôlaient tous les ponts, gués et autres points stratégiques.
La grande route fourmillait de soldats, de canons et de camions. La police militaire soviétique était partout et nous ne pourrions, désormais, voyager que la nuit.
Près de Sakmanka, nous fûmes interpellés par un sergent russe. Le gros camion dans lequel il voyageait seul s'était embourbé. Nous l'aidâmes à se dégager. Puis je le descendis et revêtit son uniforme. Machinalement. Sans bien savoir ce que je faisais. C'était une chose parmi d'autres qui devait être faite. Mes deux compagnons dissimulèrent le cadavre sous des broussailles, puis grimpèrent à l'arrière tandis que je prenais la place du conducteur. Dans la cabine, je trouvai quelques grenades et une mitraillette. Nous roulâmes à toute allure, parcourant près de deux cents kilomètres avant de manquer d'essence. Nous abandonnâmes le camion et continuâmes notre route à pied. J'emportai la mitraillette avec moi. Nous approchions de l'épicentre du cataclysme.
Le lendemain, nous parvint le grondement de la canonnade. Drôle d'impression d'entendre de nouveau le canon. Quand la nuit tomba, l'horizon était rouge. Dans Yelansk en ruine, nous nous cachâmes au sein des décombres. Impossible d'y dormir, cependant. Le front était trop proche. Moins de cinq kilomètres. Et nous n'avions plus l'habitude des grands concerts d'artillerie. Lorsque nous nous mîmes en route, après la tombée de la nuit, pour cette ultime étape qui nous ramènerait dans les lignes allemandes, nous avions les nerfs complètement à bout.
Des obus nous survolaient en gémissant, éclatant avec des grondements de tonnerre qui nous aspergeaient, à distance, de terre, de pierres et de lambeaux d'acier. Il nous fallut plusieurs heures pour atteindre les tranchées russes, où nous guettâmes, du fond d'un trou, le moment propice pour attaquer par surprise les deux servants d'une mitrailleuse lourde. Au signal convenu, nous leur dégringolâmes sur le poil et leur fracassâmes le crâne sans coup férir. Puis nous escaladâmes le parapet de leur abri et fonçâmes, tête baissée, vers les tranchées d'en face.
Notre apparition soudaine dans le no man's land déclencha, de part et d'autre, un feu nourri d'armes de tout calibre, avec accompagnement de fusées éclairantes aussi bien allemandes que soviétiques. Nous passâmes dans un entonnoir, au beau milieu de cet ouragan, un temps impossible à évaluer. Puis la fusillade s'apaisa, nous nous glissâmes hors de notre trou et reprîmes notre course éperdue vers les positions allemandes.
Nous allions les atteindre quand une mitrailleuse allemande jappa brièvement. Jürgens poussa un cri s'effondra, tué net. Dommage pour lui, tant mieux pour nous. Blessé, il aurait fallu que nous le trimbalions. Bartram et moi fîmes de grands gestes en hurlant :
— Nicht schiessen ! Wir sind deutsche Soldaten !
Hors d'haleine et tremblants d'épouvante, nous culbutâmes dans la tranchée. On nous conduisit immédiatement au commandant de la compagnie qui nous interrogea brièvement, puis nous envoya au Q.G. Régimentaire, où l'on nous donna de quoi manger, et de la paille pour dormir.
Livre II
... et puis il fut assez stupide pour mettre dans la confidence une infirmière qui n'était pas capable de tenir sa langue et vous pouvez imaginer la suite. Un matin à l'appel le commandant nous fit la lecture de ce billet doux :
« Le Gefreiter Hans Breuer, du 27 e Régiment Blindé, 51 e compagnie, a été condamné à mort, en date du 12 avril pour avoir, en se faisant volontairement écraser le pied par un char d'assaut, gravement enfreint les principes de la morale militaire. L'exécution a eu lieu à Breslau le 24 avril écoulé. »
Tels étaient à peu près les termes de cet édifiant communiqué. Le Vieux tira sur sa pipe et Porta émit un rire bref, sans gaieté.
— Non, ça paie jamais de faire ça soi-même...
J'écrivis à ma mère et à Ursula, pour leur dire que
j'allais avoir une permission de détente. Ce même soir, je fus convoqué chez le commandant de compagnie. Renversé contre le dossier de sa chaise pliante, Meier me foudroya du regard, en silence. Puis il daigna ouvrir la bouche :
— Comment avez-vous osé solliciter une permission en passant par-dessus votre
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