La Légion Des Damnés
occasionnels des mortiers. Des fusées montèrent de part et d'autre, ordonnant des tirs de barrage. Allemands et Russes croyaient l'adversaire sur le point de lancer une attaque.
La tempête fondit sur nous comme un cyclone, et la terre trembla sous nos poitrines. Nous restâmes deux heures dans un entonnoir avant que le duo s'apaisât. Dès que ce fut terminé, nous regagnâmes la tranchée et le Vieux présenta son rapport à l'Oberleut-nant von Barring.
— Herr Oberleutnant ! Unteroffizier Beier rentrant avec une section d'une reconnaissance opérée dans les champs de mines de l'ennemi. La reconnaissance s'est déroulée conformément au plan, sous le commandement du capitaine Meier. Le capitaine a été tué parce qu'au mépris des avertissements répétés de la section, il s'est obstiné à pénétrer dans le champ de mines malgré sa connaissance insuffisante du terrain.
Barring nous regarda pensivement. Ses yeux rencontrèrent les yeux de chacun d'entre nous, s'attardant un instant sur chaque visage. Je n'ai jamais vu d'yeux plus profondément humains et graves que ces yeux-là.
— Le capitaine Meier a été tué ? Ce sont des choses qui arrivent, en temps de guerre. Unteroffizier Beier, ramenez votre groupe au gourbi. La section 2 a fait du beau travail, sur ces champs de mines. Je vais envoyer mon rapport au commandant...
Il nous salua, portant deux doigts à la visière de son képi, et réintégra son propre gourbi.
Le vieux sourit.
— Lui vivant, il n'y aura plus jamais de chasse au salaud dans cette compagnie.
— Vous avez vu les sauts périlleux qu'il a faits, ce fumier, chaque fois que nos chères petites mines lui ont botté le cul ? souligna Porta. Voilà qui eût réchauffé les vieux os de son professeur de gymnastique !
Telle fut l'oraison funèbre du capitaine Meier, bourgeois allemand saoul de. son propre pouvoir, mais trop petit pour aller en guerre et devenir quelqu'un.
« Quoi ? Est-ce qu'y en a pas deux ? » Avec un rugissement, Pluton fila dans le sillage de Porta et des deux grosses filles. Ils disparurent à notre vue, mais nous entendions toujours les petits gloussement s ravis des plantureuses femelles.
— On va pas les revoir avant deux bonnes heures ! s'exclama le Vieux, hilare.
Tous les autres gars s'allongèrent en ronde dans les hautes herbes. Rêvant ; contemplant les volutes de la fumée de nos bouffardes. Evoquant, en demi- teinte» le souvenir des copains disparus.
Pioncez les gars !
QUAND on passait, au petit matin, de l'air frais du dehors à l'atmosphère confinée du chalet surpeuplé, la puanteur était presque suffisante pour vous flanquer sur les fesses, mais on s'y habituait, comme au reste, et l'on ne tardait pas à s'endormir, bercé par les ronflements et les conversations chuchotées des paysans russes. On savait très bien que la femme était tubarde au dernier degré, mais qu'est-ce que ça pouvait foutre ? On acceptait les bacilles par-dessus le marché, avec les poux, les rats et la crasse.
On était à peine endormi que les Russes nous réveillaient, en se levant. Porta les injuriait, mais le vieux Russe lui répondait avec une calme fermeté : — Ta gueule, Herr Soldat, et pionce ! Porta s'était institué lui-même professeur d'argot de toute la maisonnée.
Une heure plus tard, entrait une poule avec tous ses poussins dans son sillage. Mais quand ils commençaient à picorer la figure de Porta, il se flanquait dans une co1ère noire, surgissait de la paille comme un projectile à réaction ; saisissait la poule par le cou ; la giflait de l'index et vociférait :
— Fous le camp de là, espèce de vieille poule, avec tous tes rejetons illégitimes !
Puis il balançait le volatile par la fenêtre et pourchassait dans toute la maison les poussins frappés de panique. La belle-fille rappliquait en glapissant sur le mode aigu. Porta hurlait :
— Vous allez me foutre la paix ?
Et l'insultait jusqu'à ce qu'elle perdît patience et lui appliquât sur le crâne un bon coup de cuillère à pot. Tout le monde se marrait, ce qui avait le don de décupler la rage de Porta. Il se ruait à la poursuite de la paysanne, en chemise, pans flottant au vent de sa course sur ses jambes de coq. Jusque dans le champ, il la poursuivait, tandis que les Russes se tordaient de rire. Peu de temps après, il revenait hors d'haleine, claquait la porte avec une violence qui secouait tout le cottage, montrait sa tête à la fenêtre et
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