La Liste De Schindler
vanté de l’affaire. Mais l’anecdote est assez symptomatique du rôle providentiel attribué à Oskar. Et il va de soi que ces gens avaient bien raison de se conforter en faisant circuler ce genre d’histoires, qu’elles fussent vraies ou fausses. Après tout, c’étaient eux qui couraient les plus gros dangers, et c’est eux qui auraient eu à payer les pots cassés si la légende s’était brisée.
Une des raisons pour lesquelles Brinnlitz tirait son épingle du jeu des inspections tenait à la roublardise des ouvriers. Les indicateurs de contrôle des fours, trafiqués par les électriciens, indiquaient la température optimale alors que la température réelle des fours était inférieure de quelques centaines de degrés.
— J’ai écrit aux fournisseurs, tempêtait Oskar devant les inspecteurs en jouant l’industriel bafoué qui voit ses bénéfices disparaître.
Il s’en prenait aux fondations, à l’incompétence des superviseurs allemands. Il évoquait une fois de plus les « difficultés de démarrage » et faisait miroiter la fabrication de montagnes de munitions dès que les problèmes initiaux seraient réglés.
Dans le secteur des machines-outils, tout semblait également normal. Les machines paraissaient calibrées à la perfection alors qu’il y avait un jeu d’un micromillimètre. La plupart des inspecteurs repartaient de Brinnlitz les bras chargés de bouteilles de cognac et de cigarettes, débordant généralement de sympathie pour un homme confronté avec des problèmes d’une telle ampleur.
Stern racontera qu’Oskar achetait parfois des caisses de munitions à d’autres fabricants et qu’il les faisait passer pour siennes. Pfefferberg corroborera ce témoignage. Quoi qu’il en soit, Brinnlitz tenait bon.
Oskar invitait de temps en temps d’importants fonctionnaires régionaux qu’il savait hostiles à venir faire un tour de l’usine et à dîner. Ces gens n’étaient pas des experts en matière d’armements, mais ils avaient reçu des mises en garde contre Oskar signées Liepold, Hoffman ou quelques gestapistes locaux qui n’ignoraient rien du séjour de Herr Direktor rue Pomorska. Ils avaient expédié des missives à tous les fonctionnaires locaux, régionaux, et même aux pontes de Berlin pour dénoncer la moralité douteuse d’Oskar, ses relations équivoques, ses violations des lois raciales. Sussmuth l’avait averti des monceaux de lettres parvenues à Troppau. Oskar invita donc Ernst Hahn – un ivrogne invétéré, dira-t-il –, directeur adjoint du bureau de Berlin consacré à l’aide aux familles des SS. Hahn avait décidé de venir à Brinnlitz avec Frank Bosch, son ami d’enfance, compagnon de beuverie, et assassin de la famille Gutter. Oskar estimait que ce genre de relations publiques était suffisamment utile pour qu’il remise sa dignité au vestiaire.
Quand il se présenta aux portes de l’usine, Hahn portait très exactement l’uniforme dans lequel Oskar aurait souhaité le voir : rutilant, bardé de médailles comme il seyait à un vieux troupier qui avait vécu la création du parti. Son adjoint était tout aussi flamboyant.
Liepold, qui occupait une maison en location à l’extérieur du camp, avait été convié aux festivités. Cette soirée le mit hors de lui. Car Hahn – dont l’uniforme pompeux fera l’objet des sarcasmes d’Oskar – témoignait d’une affection sans bornes pour son hôte. Il est vrai que la plupart des ivrognes tombaient dans le même panneau. Mais Liepold était désormais convaincu que s’il continuait à envoyer des lettres de délation aux hautes autorités, elles pourraient bien atterrir sur le bureau d’un compagnon de bouteille de Herr Direktor, et que ça pourrait finir par lui retomber sur le nez.
Le lendemain matin, Oskar raccompagnait ses illustres hôtes à Zwittau. Tout le monde avait l’air très gai dans la voiture. Les nazis locaux saluaient au garde-à-vous sur les trottoirs cette vision fugitive de la splendeur du Reich.
Hoffman, pour sa part, était toujours resté sur son quant-à-soi. Il n’y avait – au dire d’Oskar – aucune possibilité d’exploiter la main-d’œuvre de ses trois cents prisonnières. La plupart passaient leur temps à tricoter. Et Dieu sait que le tricot n’était pas un passe-temps fortuit quand il fallait subir cet hiver rigoureux vêtu simplement d’un pyjama rayé. Hoffman s’était plaint formellement auprès des SS des vols perpétrés par
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