La lumière des parfaits
ordonnance. À la parfin, être membre de l’Ordre de l’Étoile et décoré de la Croix de Fer de l’Ordre de Sainte-Marie des Allemands, à défaut de l’avoir été de celui de la Jarretière, ouvrait des portes que d’aucuns se seraient vus claquées au nez.
L’ordre d’arrestation serait remis dans les trente jours. On ignorait cependant que j’avais subtilisé, en la librairie royale du Louvre, l’acte notarial authentique qui attestait la véritable filiation de la soi-disant dame de Guirande. Plus exactement, par esprit de droiture, j’en avais informé le dauphin Charles, Il y avait consenti. À la seule condition que j’en fisse dresser copie sur le champ par un notaire assermenté ; icelui me remit peu après une grosse, un acte exécutoire.
« Le loup est aculé de toutes parts, me dis-je. Il n’échappera pas à son destin. Sauf à se déporter par-delà les monts Pyrénées pour prendre refuge chez les Maures d’Espagne. Mais avec quelles ressources ? Dépossédé, démuni, il ne pourrait que se terrer, tel un sanglier aux abois.
À moins de trouver refuge au sein d’une de ces Grandes Compagnies qui dévastaient le pays. Arnaud prendrait certes moult plaisirs à participer aux pillages, à violer et à s’approprier le bien d’autrui, mais il avait peu de goût pour le métier des armes. Je le voyais mieux se terrer quelque part, le temps qu’on l’oublie. Dans notre comté du Pierregord, par exemple, où j’étais convaincu qu’il jouissait de complicités que j’ignorais mais que je suspectais de jour en jour. Un félon que je me devais de confondre avant qu’il ne trahisse d’autres gens d’aussi belle crédulité que la mienne. Je croyais avoir perdu toute naïveté depuis longtemps. Je me trompais.
Qu’était devenue ma sœur Isabeau depuis qu’elle avait disparu de la forteresse de Largoët où elle avait été recluse ? Je l’ignorais. Les informations en provenance de nombreux référants de tranquillité de l’évêché de Sarlat apportaient des renseignements contradictoires.
Les uns prétendaient qu’elle servait comme dame de compagnie près d’anciens capitaines de routiers, d’autres qu’elle avait pris le voile en une abbaye, celle de Cadouin ou celle de Chancelade. Ou ailleurs. Au juste, personne ne savait. Personne, sauf moi. Une prémonition, peut-être. Un fol espoir aussi. L’espoir de la voir enfin un jour. Si Dieu le voulait. En d’autres circonstances que celles que je redoutais.
En mois d’août de l’an de grâce 1362, le jour de la Saint-Laurent {34} , le roi Jean avait levé sa bannière pour se rendre en Avignon. L’heure d’un grand pèlerinage de la Croix en Terre sainte avait sonné.
Peu enclin à voir les réalités en face (une grande disette avait affaibli le royaume, l’année précédente) et à soulager la misère de ses sujets, Jean le Bon, encouragé par le dauphin Charles qui n’attendait que cette occasion pour saisir les rênes du royaume, quittait Paris pour la cité papale. Il se voyait déjà investi par le Saint-Père en qualité de capitaine général de la Chrétienté pour reconquérir le tombeau du Christ.
Le royaume étant plus maigre que la principauté d’Aquitaine, et parcouru par des compagnies de soudoyers en déserrance, nous dûmes emprunter la rive senestre de la Saône et du Rhône, situées en terres d’Empire, pour éviter, sur une route plus directe, de sanglantes ou coûteuses mésaventures… les précautions prises en disaient long sur l’état du royaume capétien.
Onfroi de Salignac et Guilbaud de Rouffignac furent contraints de repousser au mois de mai prochain leur mariage avec les sœurs de Roquedur. Ce fut donc le cœur dans les éperons qu’ils firent route avec la cour du roi Jean.
Gui de Salignac de la Mothe-Fénelon, mon nouvel écuyer, auquel j’avais adjoint deux autres écuyers de l’entourage de Jeanne de Bourbon, Eudes de Saint-Pol et Yves de Penhoët, deux fiers gentilshommes bretons qui m’avaient été chaudement recommandés par Bertrand du Guesclin – leurs pères étaient du parti de Charles de Blois – un peu plus âgés, mais aussi plus aguerris qu’icelui, avaient manifesté, chacun à sa façon, leur joie de chevaucher à mes côtés. Pour découvrir ces terres d’empire et galoper par combes et vaux vers le siège de la cité papale.
À peine avaient-ils mis le pied à l’étrier qu’ils me questionnaient sur les senteurs et la
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