La lumière des parfaits
beauté ensoleillée de la Provence. Des parfums de lavande, le chant des cigales, dont ils n’avaient jamais ouï le crissement assourdissant par fortes chaleurs, les enivraient mieux que les grappes de raisin qui seraient bientôt vendangées dans les vignobles de Chateauneuf que le pape avait fait planter.
Insouciants, déjà ivres d’un bonheur futur, ils croquaient la vie à pleines dents. Si je sombrais parfois en forte mélancolie, je m’efforçais de ne pas laisser lire sur mon visage la tristesse qui m’envahissait de clic et clac sans crier gare ou lorsque mon esprit vagabondait vers d’autres rivages qui étaient chers à mon cœur.
Notre chevauchée fut fortement ralentie par le nombre de charrois tirés par des roncins. Le roi se déplaçait avec ses meubles et ses coffres que les domestiques déchargeaient et rechargeaient dans toutes les châtellenies qui lui offraient une hospitalité ruineuse, mais voulue par le droit féodal.
De la magnifique et solidement remparée cité de Provins qui avait joui, un siècle plus tôt, de la formidable renommée des foires de Champagne, avec la ville de Troyes, en contournant la ville de Dijon, nous arrivâmes en la cité lyonnaise, à la mi-septembre. Jean le Bon organisa fêtes et tournois pendant une semaine jusqu’à la Saint-Michel {35} .
Puis nous longeâmes le fleuve Rhône, toujours sur la rive senestre, jusqu’aux portes de l’inexpugnable rocher des Doms, par un fort mistral à décoiffer les chaperons, dont d’aucuns s’envolèrent, tourbillonnèrent et furent emportés à la vitesse d’un cheval au galop.
Au pied de la fantastique forteresse du palais des Papes dont nous admirions le haut donjon carré et les incroyables mâchicoulis des murs d’enceinte en demi arc de cercle, écrasés par la hauteur des murailles qui dépassaient la centaine de toises, le roi Jean fut accueilli, le jour de la Saint-Martin {36} , par trois cardinaux-légats. Ils nous annoncèrent le décès du pape Innocent et l’élection récente d’un nouveau pape qui portait le nom d’Urbain, cinquième du nom.
Jean le Bon se remochina incontinent, sans piper mot. Le nouvel élu sur le trône de Saint-Pierre poursuivrait-il le grand projet qu’il avait négocié dans l’enthousiasme avec son prédécesseur, et dont il espérait tirer d’importants décimes pour se rédimer d’une bonne part de sa rançon ? Sous le prétexte de bouter le sultan des Turcs ottomans, Amurat premier, hors la ville d’Andrinople qu’il venait de conquérir après un an de siège pour y établir sa capitale.
Sans oublier la cuisante défaite que les troupes royales avaient essuyée à Brignais, le sixième jour d’avril dernier, et la rançon qu’il devait bailler pour messire Guillaume de Melun, capturé pendant la bataille par un capitaine de routiers d’une de ces Grandes Compagnies.
Or donc, les pourparlers avec le nouveau souverain pontife risquaient de durer plusieurs mois avant d’aboutir, s’ils aboutissaient. Et je m’en réjouissais, car je savais mon épouse Marguerite proche. Très proche. Elle attendait ma venue en Avignon à l’automne pour me faire visiter la librairie de l’université de Montpellier, les salles de lecture, les ateliers et l’amphithéâtre où elle dispensait son enseignement de médecine et de farmacie depuis un mois.
Les premiers jours, le roi Jean fit porter ses coffres et ses meubles dans les appartements de l’aile des familiers, qui jouxtait la tour de la Campane. Des pièces somptueusement décorées où résidaient empereurs, rois, princes et ducs lors de leur séjour en Avignon.
Le soir, nous franchîmes à pied, destriers tenus par la bride, le pont Saint-Bénézet qui reliait les deux rives du fleuve Rhône, sous des rafales de vent à décorner les cocus, pour rejoindre la terre royale au fort Saint-André, près Villeneuve-lès-Avignon.
Le ciel était de bleu azur, l’air glacial. Pas à pas, je me rapprochais de ma douce mie, le cœur gonflé de joie et d’orgueil. Des retrouvailles imminentes que la charte de l’Ordre de l’Étoile ne m’interdisaient point, dès lors que nous ne nous éloignions pas du service que nous devions au roi de plus d’une soixantaine de lieues.
Dès lors, les événements m’entraînèrent dans une formidable tempête d’une extrême violence, sous l’effet de vents contraires et redoutables.
À la Saint Nicolas {37} , mon chevalier bachelier, Guilbaud de
Weitere Kostenlose Bücher