La lumière des parfaits
position couchée, les premiers piétons s’avançaient. Avec prudence, bouclier devant la poitrine, guisarmes pointées. De la main dextre, que je levai doucement, j’intimai l’ordre de ne pas bouger. Mes compains connaissaient depuis longtemps le signe des gestes. Je relevai un peu le chef et mis l’index sur la bouche. Ils se tenaient de part et d’autre du chemin. En silence. Sans bouger d’un pouce.
Les gens de cette avant-garde avaient grande vigilance. À mesure qu’ils avançaient, à pas lents, ils tournaient le chef et scrutaient les branches des arbres, les fougères, sans mot dire. Leur cotte d’armes n’était pas écartelée. Étrange. Tout à coup, le sergent qui commandait l’avant-garde leva la main, puis il montra du doigt un chêne. Je levai les yeux. L’un de mes archers y avait pris position. Il avait oublié de noircir le dard de la flèche qu’il s’apprêtait à décocher.
Le reflet disparut. Le sergent piéton, après un certain temps, leva la main pour inviter sa troupe à marcher. Ils s’approchèrent. À trente toises, ils étaient des cibles parfaites pour mes drôles. Le sous-bois était sombre. Les rayons du soleil ne traversaient le feuillage que rarement. Et furtivement.
Les encadrant, des archers avaient pris position de part et d’autre de la colonne. Des bowmen ? Non. Des arcs bourguignons, plus courts, déjà bandés. Le sergent d’armes avait pris ses précautions. Redoutait-il une embuscade ?
La troupe s’approchait. Les écus des boucliers et de leurs cottes ne faisaient aucun doute. Ils n’étaient point anglais, mais de France. Les lys de France ici, le blason armorié du Dogue de Brocéliande, là. Point question cependant qu’ils se méprennent sur mes intentions. Lorsque la tête de la troupe parvint à ma hauteur, je redressai le chef et criai :
« Nous sommes au roi de France, au roi Charles ! Je suis compagnon de messire du Guesclin ! En embuscade, non point contre vous, mais attendions l’Anglais et le Gascon ! Si vous êtes de nous, dîtes à vos archers de débander ! Sinon vous serez occis par nos sagettes ! Elles sont toutes pointées sur vous, et n’en réchapperez pas ! » huchai-je à gueule bec, avant de me dresser séant, puis de m’avancer sur le chemin et de dire qui j’étais, sans armes, tel un pauvre paysan du Pierregord.
« Messire Brachet de Born ? Vous nous avez fait grande peur ! Nous avons craint le pire ! Je vous connais de renommée, pour l’avoir ouï d’un écuyer de messire du Guesclin », me répondit-il, la voix un peu hésitante.
Je levai la main en dessinant un vaste cercle au-dessus de la tête. Mes compains crièrent :
« Notre-Dame-Brachet ! Notre-Dame-Guesclin ! Vive le roi Charles ! » Ils sortirent de leurs trous, écrasèrent ronces et fougères, écartèrent les branchages feuillus, ignorant que mon fils et une dizaine d’archers-paysans les aborgnaient sur leurs arrières. Sait-on jamais ? Honni soit qui mal y pense ! aurait dit un chevalier de l’Ordre de la Jarretière…
S’il est vrai que nous ne sommes pas maîtres du destin que le Bon Dieu a prévu pour nous, le hasard ou les circonstances font parfois bien les choses. La place forte de Commarque, dont le sire du même nom et le baron de Beynac étaient co-seigneurs, nous ouvrit ses portes. Lorsque nous nous présentâmes devant la barbacane, le capitaine de céans fit baisser le pont-levis, relever la herse et nous remit les clefs de la place dont nous n’avions cure.
Ce fut, non pas avec mes anciens écuyers Onfroi de Salignac et Guilbaud de Rouffignac (ils étaient encourtinés près de la reine Jeanne de Bourbon et du roi Charles, avec leurs épouses), mais avec mes écuyers bretons, Eudes de Saint-Pol, Yves de Penhoët et Hugues, mon fils, que je pénétrai, inspiré par une incroyable et insurmontable pulsion, dans les souterrains qui menaient en la magnifique salle de l’ancienne commanderie templière.
L’avant-garde et le gros de la bataille de messire du Guesclin bivouaquaient à l’intérieur des murs d’enceinte, chose malaisée compte tenu de l’escarpement du terrain. L’arrière-garde avait planté ses pavillons dans la vallée de la Bevne, là où, vingt ans plus tôt, l’armée du duc de Lancastre avait estravé les siens. Vierge Marie, que de souvenirs {42} !
Dans le passage de la chapelle Saint-Jean, la croix d’Occitanie gravée dans la pierre, dont chaque branche était
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