La Malédiction de la Méduse
notre provision d’eau et de biscuits durer une nuit de plus.
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« Naviiiiiiiiiire…» Le petit marin roux a gueulé comme un écorché et Schmaltz, après avoir sursauté, le fait taire d’un geste agacé. Il s’empare de la lunette dans laquelle il ne distingue rien sinon la nuit qui tombe. « À bâbord je l’ai vu, Monsieur, j’en suis sûr… On aperçoit les lanternes », insiste le rouquin. Schmaltz se tourne vers la gauche et devine effectivement un bateau droit devant, peut-être un trois-mâts. « L’Argus ou La Loire , très certainement », songe le gouverneur, partagé entre le soulagement d’arriver et l’agacement de le faire en si piètre équipage. Il jette un rapide regard vers son épouse qui s’est assoupie, les lèvres pincées en un rictus peu affable. Il n’est pas loin de 10 heures à sa montre-gousset dont le verre est perlé de gouttes. Le canot du commandant est à nouveau visible loin derrière, mais Schmaltz préfère regarder vers l’avant, ne point penser à cette baderne gorgée d’orgueil et de vinasse qu’il tient pour premier responsable de leur avanie. « Qu’on donne l’ordre aux hommes de ramer plus fort ! » demande le gouverneur à l’officier de son embarcation. « C’est déjà fait, Monsieur, et nous allons hisser le taillevent pour accentuer notre allure ! »
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François Marie Cornette de Vénoncourt pisse dans la mer. Par le hublot arrière, tourné vers l’horizon, le capitaine apprécie en soulageant sa vessie le léger souffle d’air qui à cette heure donne une infime mais agréable impression de fraîcheur. Voilà déjà deux jours que L’Écho, la corvette qu’il commande est devant Saint-Louis. Et toujours pas la moindre nouvelle des autres bateaux. La Méduse avait une sérieuse avance de marche sur L’Écho et aurait donc dû arriver la première à bon port, mais personne ne l’a vue. Vénoncourt s’en inquiète en urinant. La rade est assez houleuse et il aimerait sans trop tarder pouvoir quitter cet ancrage provisoire, franchir la barre et remonter la rivière jusqu’à l’île Saint-Louis. Mais ces fouines d’Anglais font comme s’ils étaient encore chez eux. Vénoncourt a eu beau envoyer un canot et deux hommes porter un pli au governor l’informant que L’Écho et son commandant faisaient partie de l’expédition de Sa Majesté le roi de France venue récupérer le Sénégal et l’île de Gorée, le gouverneur anglais, le lieutenant-colonel Brereton lui a renvoyé ses matelots avec un formulaire en anglais lui demandant son « loaded draught », autrement dit, son tirant d’eau en charge et diverses informations sur la durée de son escale et la nature de sa cargaison. Vénoncourt lui aurait bien envoyé sa botte au fondement en même temps qu’il lui retournait le formulaire. Mais, d’une part, ce cauteleux était hors d’atteinte, et d’autre part, le commandant de L’Écho n’allait pas à lui tout seul déclencher une guerre. En compensation, il pisse donc dans la rade de Saint-Louis et au cul de l’Angleterre. Les plaisirs sont rares sur un bateau, et soulager du même coup sa vessie et sa colère est plaisant. Vénoncourt est tiré de ce trivial constat par deux lumières qu’il distingue au loin sur la mer. Seraient-ce celles de La Méduse , enfin ? Le commandant n’est pas le seul à se poser la question. Sur le pont on fait brûler des amorces qui dans une forte odeur de poudre éclairent la corvette d’une lueur irréelle et bleutée.
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Schmaltz est debout à l’avant du canot, il ne quitte plus la longue-vue, dans la lueur des feux, il croit avoir reconnu L’Écho. Il en est même certain. Deux nouvelles amorces viennent d’éclairer le bateau sur toute sa longueur. Les matelots ne s’y sont pas trompés non plus, ils crient et se congratulent en lâchant leurs avirons, ce qui a pour effet de ralentir la marche du canot. Schmaltz n’en a cure. L’Écho n’est plus qu’à quelques encablures. « Vive le roi ! » hurle un sous-officier. Mais ce n’est pas au roi que pense Schmaltz, c’est à lui.
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L’homme n’est pas bien grand, c’est un marin ivre et dépenaillé. La lune éclaire en glauque son visage suant et rougeaud qui ne me dit rien. Il est armé d’une hache et surexcité. Le regard injecté, les commissures baveuses, il vocifère dans la nuit devant la barrique défoncée qui pue la vinasse et la marée. Cet abruti prétend envoyer le radeau par le
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