La Marque du Temple

l’aide d’un petit pinceau trempé dans un récipient de graisse d’oie fraîchement réchauffée.
    J’en profitai pour graisser les charnières de la porte de ma chambrette et celle des longaignes. Elles me remercièrent par un feulement discret, sous l’œil émerveillé de Clic et de Clac. Quant à Cloc, le chat noir, il avait disparu.
     
    À la recherche du haubert de triples mailles finement torsadées que j’avais emporté dans mes baguages lors de mon départ de la forteresse de Beynac, je jettai sur le sol, en un grand désordre, mes chainses de lin, mes chausses de laine, mes deux surcots brodés par les lingères de la princesse Échive de Lusignan, mon unique pourpoint, mes heuses, bref, tout ce que le coffre contenait d’habits jusqu’alors admirablement superposés et rangés par les soins de ma petite lingère bien-aimée.
    Au fond du coffre, un dernier objet gisait dans son étui de plomb. Le chilindre qui avait été descellé d’un muret lors de cette inoubliable pluie torrentielle qui s’était abattue sur nous, un soir d’orage. J’en avais tout à trac oublié l’existence depuis que je m’en étais saisi et l’avais confiné au fond du meuble.
    Je le pris et m’approchai des chandelles pour l’examiner sous toutes les coutures. De coutures, il n’en avait point ; de légères balèvres boursouflées aux extrémités indiquaient qu’il avait été serti à chaud.
    À l’aide d’un cotel de table, j’incisai l’une des extrémités. Le plomb était de belle qualité. Il résista à la lame. J’insistai en appuyant fortement et en tournant l’objet. Il finit par s’escambiller en baîllant deux lèvres grisâtres. Je les élargis pour en dégager l’orifice.
    Un autre chilindre de cuir de belle confection, une boîte à musique , aurait dit Foulques de Montfort, chut sur les dalles avec un bruit mat. Une fine lanière et une boucle d’étain en fermaient le couvercle. Je la dénouai avec précautions et jetai un œil à l’intérieur du tube. Tout d’abord, je ne vis rien.
    J’y glissai deux doigts. Mes doigts sentirent quelque chose : je les mouillai pour mieux gripper ce qui me sembla être un parchemin. Un premier veelin, puis un second, enroulés sur eux-mêmes, apparurent, souples à souhait, sans la moindre trace de moisissure. Je les déroulai à la lumière des chandelles.
    Le sang se retira de ma cervelle et la vie, de mon corps. Le premier, puis le second manuscrit m’échappèrent des mains et s’enroulèrent en touchant le sol dans un mouvement gracieux. Un troisième pan de ma vie venait de s’effondrer dans un gouffre de sable. J’avais cru être prêt à affronter le pire. Je me trompais. Bien pire que la suspicion de meurtre qui pesait sur les épaules du chevalier de Montfort et d’Arnaud de la Vigerie, pire que la nouvelle de la mort de mon compère et tuteur, le tout puissant baron de Beynac.
     
    Je venais d’apprendre qui était Isabeau de Guirande , ma petite fée aux alumelles , le fol amour de ma vie. Un trop bel amour.
     
    L’amour que je lui portais depuis près de quatre ans m’avait aveuglé.

Les pommes des Hespérides, ou le signe des Gémeaux dans la constellation du zodiaque.
     
    Le onzième des douze travaux d’Héraclès
     
     
     
     
    Chapitre 11
    À Commarque, en l’an de grâce MCCCXLVIII, entre le jour des calendes et le jour des nones de novembre {xxix} .
     
    L’avant-veille des nones de novembre, le troisième jour du mois, notre village fortifié était devenu un champ de foire, un véritable bordeau.
    Les galapians des manants y jouaient, criaient, couraient dans tous les sens, gênaient le déplacement et l’entraînement des hommes d’armes de notre modeste garnison.
    Le sol, détrempé par des jours de pluie, était glissant et plus d’un s’étalait dans la boue en riant à gueule bec. J’exigeai de mes écuyers et du capitaine d’armes qu’ils mettent un peu d’ordre et prient leur mère de les cloîtrer dans les maisons fortes qui les accueillaient pour qu’elles les occupent à d’autres jeux, lorsqu’un nouveau venu m’interpella :
    « Messire, en voulant vous servir, ne risquons-nous pas de vous desservir et de nous asservir ?
    — Qui parle si haut et si fort, et manie si bien le verbe parmi vous, bonnes gens ? m’exclamai-je non sans agacement, en promenant l’œil sur la foule.
    — Un homme libre, pour vous servir, messire chevalier ! s’écria un quidam, aussi rond et