La Marque du Temple
cœur et me permis un tendre baiser qu’elle me rendit avec générosité. Je la soulevai de terre à bout de bras. Un peu plus haut, et son crâne aurait heurté le plafond. Arnaud nous observait, les yeux plissés en amandes, les dents serrées, les maxillaires contractés.
« Bravo, Marguerite. N’achève pas ton travail. Prenons d’abord une collation avant de nous mettre à l’œuvre, lui dis-je.
— Messire Bertrand, je vais d’abord en élargir les bords. Notre progression en sera plus aisée !
— Nous avons grande faim et grande soif ! » s’exclama Arnaud, tout ragaillardi, changeant brusquement d’attitude du tout au tout. J’avais déjà observé ses volte-face et ses sautes d’humeur et n’en fus guère surpris. Manifestement, il n’envisageait plus de rebrousser chemin.
Pendant que notre petite lingère piquait, grattait et déboulait la paroi, nous coupâmes quelques morceaux de jambon que nous engloutîmes voracement avec le tranchoir de pain noir. L’angoisse que nous avions ressentie quelques instants plus tôt nous avait ouvert l’appétit. Le tout arrosé d’un peu d’eau. Le jambon était de plus en plus salé et donnait soif. Mais l’eau nous était comptée.
Arnaud s’approcha de Marguerite pour lui tendre de quoi se sustenter et étancher la soif. Il eut le grand tort de lui mettre la main sur l’épaule. Il évita de justesse le tranchant de l’alène, mais pain, jambon et godet volèrent dans les airs. La flamme de la torche qu’elle tenait de l’autre main décrivit un large arc de cercle et roussit les sourcils d’Arnaud. Marguerite avait retrouvé énergie et caractère. Je la réprimandai mollement :
« Marguerite, ce ne sont point là façons de remercier un gentilhomme ! » Cinglant Arnaud du regard, plus durement qu’une vergette, elle l’affronta :
— Oh ! messire Arnaud ? Veuillez m’excuser. J’avais pris votre patte pour celle d’un rat… » puis elle retourna incontinent à ses travaux, l’air de rien. Je craignis une violente réaction de mon compain.
L’insulte était grave. Pris sans vert, Arnaud fut à deux doigts d’éclater comme une citrouille trop mûre. Je lui fis signe de la main pour l’inviter à s’apazimer. À mon grand étonnement, il eut la sagesse d’obtempérer et nous rejoignit en se remochinant, les mâchoires crispées derechef. Il me sembla l’entendre dire entre ses dents : “Je l’aurai cette ribaude ! Je la forcerai comme une truie !” mais je ne pourrais en jurer.
Le trou d’un diamètre de deux coudées que Marguerite avait aménagé nous permit de dégager une ouverture rudimentaire, mais assez large pour que nous puissions à nouveau la franchir sur le dos ou sur le ventre en achoppant sur des éboulis, le crâne tuméfié par quelques belles bosses.
Bon an mal an, nous réussîmes à nous extraire du goulot. En me voyant, Marguerite poussa un cri d’orfraie. Une fine poussière s’était répandue sur nos vêtements, maculait nos mains et collait sur la sueur de nos visages. Nous étions aussi grotesques que des bouffons pimplochés.
J’espérais qu’il n’y eût pas d’autre issue que celle que nous avions empruntée. Je n’avais repéré aucun symbole de route. L’éboulement du rocher en avait sans doute masqué la présence depuis fort longtemps.
Après avoir brûlé huit torches de résine, nous n’avions plus aucune notion du temps. Nous avions cheminé à grand arroi de peines, comme des baudets. Tantôt courbés en deux, tantôt à plat ventre ou sur le dos, grippant de fortes pentes, rampant ou glissant sur le cul, les vêtements en lambeaux. Mais nous avions progressé d’une lieue ou d’une lieue et demi.
Il nous était impossible de prendre des repères ou d’évaluer les distances dans ce méandre noir dont nous suivions des sillons moins rectilignes que ceux que traçaient les plus maladroits de nos bouviers. Et nous n’étions pas au bout de nos surprises.
Les signes gravés dans la pierre étaient réapparus. Ils nous confirmaient que nous étions dans la bonne direction. Tous se situaient à mi-hauteur, à la senestre des passages.
Malgré le froid et l’humidité qui régnait dans les souterrains, nous étions sueux et crasseux comme des porcs et nous dégagions des relents de bouc. Adieu l’envoûtante senteur de rose qui se dégageait du corps de Marguerite avant notre départ !
Pour oriner et caguer, nous nous soulagions
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