La Marque du Temple
sourire me fendait la gueule. Ma réponse lui plut, car il m’administra en retour une bourrade virile qui me projeta deux pas en avant.
Tierce sonnait au clocher de la chapelle. Les écuyers et les chevaliers s’étaient réunis par groupes d’affinité et clabaudaient entre eux, tête nue, épée au côté.
La plupart arboraient, sur des surcots d’une niceté immaculée, les armes des maîtres des lieux : soit celles des barons de Beynac, burelé d’or et de gueules de dix pièces, soit celles des seigneurs de Commarque, d’azur à l’arche d’alliance d’argent surmontée de deux étoiles d’or, selon qu’ils appartenaient à l’une ou l’autre de ces maisons, bien que leur appartenance restât confuse du fait que le baron de Beynac était coseigneur de Commarque.
Quel changement dans leur tenue ! Mais, le plus étonnant, c’était que tous exhibaient des visages glabres, la barbe fraîchement rasée. Tous sauf trois : l’inévitable chevalier Mirepoix de la Tour et ses deux écuyers, dont le regard hostile m’effleura la joue comme un boulet tiré par un pot à feu, à moins de dix pieds.
Ils me donneraient plus de fil à retordre que des mailles disloquées à un maître haubergier. Était-ce preuve de caractère ou geste d’insoumission ? Je penchai pour la rébellion. Sous la barbe, un traître peut en cacher un autre. Sur un visage glabre aussi, il est vrai.
Dieu seul le savait et, pour ma part, je devrais rentrer dans Ses bonnes grâces pour qu’il m’aide à les démasquer. Ce ne serait point là chose aisée. Le broçailleux chevalier de Lebestourac ne me l’avait-il pas laissé entendre à mots couverts ?
À notre arrivée, tous s’accoisèrent rapidement. Je me permis un sourire du coin des lèvres et leur souhaitai le bonjour. Ils me répondirent avec courtoisie. Leur visage buriné par le soleil faisait ressortir la couleur ivoire de leurs joues, de leur bouche et de leur menton, produisant un contraste saisissant et comique.
Je réprimai à grand-peine une crise de fou rire lorsque je vis mon bon chevalier de Lebestourac pivoter brusquement et toussir bruyamment de dos, à la vue de leur nouveau faciès.
« Messires, le comptage des vivres ne pose pas de problème. Nous pourrions tenir deux mois durant, sans changer nos habitudes. Nous diviserons cependant par deux le nombre de plats, de mets et d’entremets pour être en mesure de survivre quatre mois si, qu’à Dieu ne plaise, l’epydemie de Mal noir ne s’éteignait plus tôt.
— Je ne vois point de mal à cela », rétorqua Romuald Mirepoix en passant les mains sous son ceinturon et en bombant le torse pour attirer l’attention sur un ventre qu’il avait plat comme une limande, tout en louchant de ses yeux rapprochés sur la bedaine du chevalier de Lebestourac. Ce dernier se tenait à mes côtés. Il s’esclaffa :
« En période de disette, quand les gros seront maigres, les maigres seront morts, messire Romuald ! »
Face à l’hilarité générale, le chevalier Mirepoix de la Tour lui décocha un regard mortel et se tût. L’anguille, faute de répartie, fila droit. Elle aurait mieux fait de s’accoiser plus tôt.
« Messire capitaine, dis-je en m’adressant à Raoul d’Astignac, soyez remercié pour votre diligence à avoir fait le décompte de nos vivres et de nos munitions. Nous savons que vous y avez passé une bonne partie de la nuit. » Puis, m’adressant à l’assemblée :
« Tant que planera sur nous le moindre doute de contagion, mes beaux sires, nous resterons cloîtrés en cette enceinte. Le jour où des signes évidents nous laisseront entendre qu’elle sera dissipée, les Anglais et leurs alliés gascons pourraient bien avoir quelque envie d’estraver leurs pavillons devant la place pour tenter de la prendre d’assaut.
— Cette modeste place ? Qui pourrait-elle intéresser ? » ne put s’empêcher de questionner l’incontournable chevalier Mirepoix de la Tour.
— Mieux vaudrait étouffer nos divergences dans l’œuf, messire Mirepoix, avant que les griffes des léopards d’Angleterre ne nous saisissent. Et nous préparer ensemble à repousser un assaut de nos ennemis, pour sauver cette belle place fidèle au roi de France, rétorquai-je de forte méchante humeur. À moins que d’aucuns parmi nous n’envisagent de changer de camp ?
« Nos heures à vivre, si nous ne prenons pas de magnifiques dispositions
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