La Marquise de Pompadour
petites-maîtresses n’eût rien trouvé à redire.
Cette élégance et cette coquetterie, Jeanne les avait remarquées non sans un certain trouble.
Comment le chevalier d’Assas, pauvre officier, plus habitué aux camps qu’aux salons, avait-il pu songer à tous ces raffinements ?… Et comment avait-il pu, surtout, faire la dépense que nécessitait un pareil ameublement ?
Elle finit par se dire que le chevalier avait dû y engager plusieurs années de sa solde.
– Pauvre garçon ! songea-t-elle en le regardant avec attendrissement.
D’ailleurs, elle était à l’aise dans cette situation qui eût semblé scabreuse à une femme d’esprit moins alerte…
Elle considérait ces tentures précieuses, ces meubles délicats, ces bibelots coûteux, avec une sorte de reconnaissance attendrie.
– Il a voulu que je retrouve ici toutes mes habitudes…
Le chevalier, de son côté, s’étant assuré que ses pistolets chargés étaient à sa portée, examinait attentivement l’endroit où il se trouvait et, n’y découvrant rien de suspect, s’abandonnait au charme et au bonheur de se trouver si près de son idole.
– Madame est servie ! fit tout à coup Lubin en apparaissant au fond d’une pièce voisine.
– La magie continue, se dit le chevalier.
Jeanne ne se sentait aucun appétit. Mais elle eût cru froisser cruellement le chevalier en lui refusant de s’asseoir à sa table et de faire honneur à ce repas qu’il avait dû prendre une joie d’enfant à ordonner…
Elle passa donc dans la salle à manger qui était digne en tout du petit boudoir…
– Chevalier, dit-elle en se mettant à table, vous avez fait des folies… Ce salon, cette salle à manger… ce souper luxueusement ordonné…
D’Assas demeura stupéfait.
Il n’avait pas songé à cela, lui ?…
Et comment faire pour détromper Jeanne ? Comment lui dire qu’il n’était pas chez lui ?…
– Madame… balbutia-t-il.
– Mais vous m’attendiez donc ? reprit Jeanne tout à coup.
– Eh bien, oui ! s’écria le chevalier en devenant pourpre. Je vous attendais ! Est-ce que je ne vous attends pas toujours ?
Il se détestait de mentir ainsi…
Mais il avait si bien compris la question qui allait surgir sur les lèvres de Jeanne s’il ne répondait pas ainsi :
– Alors, vous attendiez une femme ?
– Je vous en supplie, continua-t-il d’une voix ardente et à la fois tremblante, ne m’interrogez pas, ne me demandez rien… Supposez… tenez… supposez que vous êtes transportée dans une maison enchantée… que tout ce qui nous entoure n’est que pure magie et fantasmagorie…
– Oh ! mais vous allez m’effrayer ! s’écria-t-elle gaiement, ou du moins en s’efforçant de paraître gaie pour récompenser un peu le pauvre chevalier.
– Ne craignez rien, dit-il tout heureux en effet de cette gaieté ; je suis capable de m’écrier comme dans le
Cid :
Paraissez, Maures et Castillans, c’est-à-dire fantômes ou enchanteurs !… Nul de vous ne m’enlèverait en ce moment le cher trésor que j’ai l’insigne bonheur de posséder pour quelques instants…
– Pauvre garçon ! répéta Jeanne en elle-même, tout attendrie. Le chevalier avait prononcé ces paroles avec une véritable exaltation. Dans son esprit, il s’adressait à ses ennemis supposés qui pouvaient être cachés dans la maison…
Et il jetait autour de lui un flamboyant regard…
Mais ce regard étant revenu à Jeanne, si belle, si resplendissante de son exquise jeunesse, et la voyant si paisible, et si calme, si loin d’elle… oh ! si loin… des larmes emplirent tout à coup ses yeux…
Le comte du Barry, comme on l’avait vu, avait accompagné M. Jacques et Juliette jusqu’à la petite maison des quinconces.
Là, M. Jacques lui avait remis un billet, et le comte s’était élancé, tandis que Bernis faisait le signal convenu à Suzon qui devait ouvrir la porte du petit jardin.
Pendant que se passait entre Juliette, entrée dans la maison, et Jeanne la scène que nous avons racontée, et à la suite de laquelle Jeanne devait fuir la maison, le comte du Barry courait vers le château de Versailles.
Il était à ce moment environ sept heures.
Le château était en pleine animation. C’était l’heure du dîner du roi.
Du Barry pénétra dans les vastes et somptueux appartements qui constituaient, vers l’aile droite, le logis privé de Louis XV. Il rencontra en chemin une procession de
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