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La mort de Pierre Curie

La mort de Pierre Curie

Titel: La mort de Pierre Curie Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jacques Neirynck
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romanche, parlée par quelques dizaines de milliers de personnes dans deux vallées. C’était un mélange de celte et de latin assez primitif. Lors des invasions barbares, des éléments de légions romaines avaient cherché refuge dans la montagne et élaboré petit à petit ce dialecte original. Raoul eut de la peine pour admettre que ce fut une langue latine à l’égal du français, de l’espagnol et du portugais, mais il finit par se rendre aux raisons d’Einstein.
    Ève demanda à Raoul si la voiture garée devant l’hôtel lui appartenait, parce qu’elle se souvenait de l’avoir vue à Sceaux. Raoul le confirma et promit de l’emmener en promenade si cela convenait à sa mère. La proposition réjouit tout le monde, spécialement Einstein qui annonça qu’il avait toujours désiré visiter le château de Tarasp, malheureusement situé trop loin pour s’y rendre à pied. On commença donc à organiser la journée. Raoul fit le compte du monde qu’il faudrait transporter, quatre adultes, trois enfants en supposant que le bébé resterait à l’auberge. Il faudrait faire deux trajets.
    C’est le moment que choisit Mileva Einstein pour se lever et annoncer sur un ton tragique et dans un allemand fortement teinté d’accent balkanique qu’elle comptait rester à Scuol. Einstein lui répliqua en dialecte zurichois et rapidement le ton monta, sans que Raoul puisse suivre les méandres de l’altercation. Mileva commença à crier au point que l’aubergiste apparut suivi de sa femme et d’une servante. Finalement, Einstein annonça à la compagnie, dans un allemand correct, que son épouse était fatiguée de la montagne et qu’elle rentrerait le jour même à Zurich avec son bébé. Mileva sortit avec le landau et tout le monde observa un silence embarrassé. Comme pour s’excuser, mais en aggravant encore la gêne, Einstein s’adressa à Raoul, en anglais pour ne pas être compris des enfants :
    — J’ai, avec ma femme, les mêmes rapports qu’avec une employée, sauf que je ne puis pas la licencier.
    Le groupe se dispersa afin que chacun s’équipe dans sa chambre. Raoul s’estima satisfait. Sa mission s’annonçait sous les meilleurs auspices. Mais il avait tout de même au cœur un remords : il trompait Marie, cette femme modèle de rectitude.
     
    Les enfants Curie et Einstein, accompagnés de la gouvernante, firent partie du premier trajet. Vingt minutes plus tard, Arsène vint reprendre les trois adultes. Raoul s’assit à côté de lui pour laisser la banquette aux deux savants, lancés dans une discussion en allemand sur un sujet scientifique, impossible à décrypter avec le bruit du vent de la course sifflant aux oreilles.
    Le château de Tarasp était situé sur une butte escarpée, autour de laquelle montait l’étroit sentier qui en constituait le seul accès. Son origine militaire sautait aux yeux. Il était cependant habité et visitable. Il avait été racheté par un lord anglais, Ambrose Marmaduke Seymour, entiché du roman, peuplé de vampires, de Bram Stoker. Il se prenait pour Dracula et passait ses nuits dans un tombeau, aménagé néanmoins d’une couche confortable. Il faisait visiter le château à des visiteurs distingués. Raoul avait négocié la visite au téléphone, en décrivant les mérites des deux savants et sa propre fonction. Le lord, qui devait s’ennuyer, avait accepté.
    Les enfants et la gouvernante partirent en avant sur le sentier raide, avec Marie qui était une excellente marcheuse. En revanche, Albert Einstein, peu accoutumé à l’exercice physique, resta en arrière avec Raoul qui lui tint compagnie. Au lieu de préserver son souffle, Einstein lui donna un cours qui entraîna de multiples arrêts.
    — Vous êtes sans doute curieux de savoir comment tout cela a commencé. C’est très simple. J’ai eu ma première intuition un soir où je revenais passablement déprimé du travail que j’étais bien obligé d’accomplir au Bureau des brevets, à Berne, pour gagner ma vie, ou plus exactement celle de la famille que j’avais eu la folie de fonder. J’avais discuté avec mon collègue Michèle Besso tout l’après-midi sur le fait que les deux ensembles d’équations à la base de la physique, celui de Maxwell pour les ondes électromagnétiques et celui de Newton pour la mécanique, présentaient une contradiction. Dans les premières, on suppose que la vitesse de la lumière est une constante, dans les secondes les vitesses

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