La mort du Roi Arthur
mourir, puis, cela fait, plus rien ne nous retiendra dans ce pays ni ne nous empêchera de gagner le royaume de Bénoïc ou celui de Gaunes où Guenièvre et nous n’aurons plus rien à redouter du roi Arthur et de ceux qui le suivent. » Approuvant sans réserve la proposition, Lancelot et Bohort firent aussitôt monter à cheval tous ceux de leur maison, chevaliers, écuyers et serviteurs, puis ils sortirent de la forteresse et pénétrèrent dans la forêt à l’endroit où celle-ci était la plus épaisse.
Après ne s’y être guère enfoncés, ils firent halte et se dissimulèrent de façon qu’on ne pût déceler leur présence. Ils prirent toutefois soin de poster une sentinelle qui, à la limite de la grande prairie, serait à même d’observer tout ce qui s’y passerait. Puis Lancelot, après avoir réfléchi, appela l’un des écuyers et lui dit : « Écoute-moi bien : tu vas aller tout droit à Kamaalot et tu te mêleras aux autres écuyers. Fais en sorte d’obtenir d’eux des nouvelles de la reine et d’en apprendre le sort qui lui est réservé. Si on la condamne à subir la mort, reviens sur-le-champ nous en avertir. Car, quelque peine que nous puisse donner son salut, nous n’épargnerons rien pour la tirer de ce mauvais pas ! » Le valet bondit en selle, et, sans perdre un instant, se rendit à Kamaalot où, bien résolu à mener à bien la mission dont Lancelot l’avait chargé, il se perdit dans la foule.
Or, après que Lancelot s’était, dans la maison du roi, soustrait à ses poursuivants, les gens d’Agravain, rassurés par sa fuite, étaient entrés dans la chambre de Guenièvre pour s’emparer d’elle. Ils lui infligèrent toutes sortes d’affronts, lui dirent et lui répétèrent qu’ainsi prise sur le fait elle ne pourrait échapper à la mort. Accablée par la honte et repue d’insultes, la reine se mit à pleurer douloureusement, sans que ses bourreaux en fussent aucunement apitoyés. Et elle se demandait avec angoisse si Lancelot avait pu se mettre à l’abri et s’il pourrait la secourir et la préserver du châtiment suprême, au cas où le roi l’y condamnerait.
Arthur revint de chasse à la tombée de la nuit. Aussitôt descendu de son cheval, il apprit le succès du guet-apens et, si la confirmation de son déshonneur ne le surprit guère, il en éprouva cependant beaucoup d’affliction. Comme il demandait si l’on avait pu s’emparer de Lancelot : « Non, seigneur roi, répondit-on. Il s’est en effet défendu avec une telle énergie qu’il a été impossible de le retenir. – Puisqu’il n’est pas ici, dit le roi, nous le trouverons en son logis. Faites armer une troupe nombreuse, allez le saisir et amenez-le-moi. Je ferai alors justice de la reine et de lui simultanément. »
Quarante chevaliers prirent alors leurs armes, non de leur plein gré, mais pour obéir aux ordres du roi. Ils allèrent jusqu’au logis de Lancelot et ne l’y trouvèrent point, ce qui les réjouit grandement, car la perspective de devoir l’affronter pour s’emparer de sa personne ne leur souriait nullement. De sorte que, retournant auprès du roi, ils lui annoncèrent que Lancelot s’était échappé, accompagné de toute sa maisonnée. Du coup, le roi entra dans une grande colère et s’écria : « Eh bien ! Puisque je ne puis me venger de Lancelot, je me vengerai de la reine, et de telle manière qu’on ne cessera pas d’en parler de sitôt ! »
Or, le roi Yon des Îles, qui était un homme sage et avisé, intervint. « Seigneur, dit-il, qu’as-tu l’intention de faire ? – J’ai l’intention de faire justice du crime épouvantable qu’a commis la reine. Je vous commande donc à tous, et à toi en particulier, en ta qualité de roi, de respecter la parole que vous m’avez jurée et de décider entre vous de quel supplice elle doit mourir, car il ne saurait être évidemment question que son châtiment soit autre que la mort. Dussiez-vous la défendre, dussiez-vous même prendre son parti, il faudra qu’elle meure. – Seigneur, objecta le roi Yon, il est contraire à la coutume, en ce pays, de prononcer les condamnations à mort après le coucher du soleil. Nous le ferons demain matin, si telle est ta volonté et si tu nous contrains à t’obéir. » Arthur n’insista pas. Il se tut, si contrit et si rempli de colère qu’il ne but ni n’avala rien de la nuit, et il n’accepta pas davantage de se laisser amener Guenièvre.
Le
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