La naissance du roi Arthur
donner naissance à cet enfant, et ce sera après
la tombée de la nuit. Je te demande instamment de confier l’enfant, dès qu’il
sera né, à celle de tes suivantes que tu penses la plus discrète. Cette
servante devra remettre l’enfant à un homme qui se tiendra à la porte de la
forteresse. Ordonne également à toutes les femmes qui t’assisteront de ne
jamais parler à quiconque de cette naissance car, si on l’apprenait, ce serait
le déshonneur autant pour toi que pour moi. Il y a beaucoup de gens, en effet,
qui ne se priveraient pas de prétendre qu’il n’est pas de moi. Et il ne saurait
l’être, à ce qu’il me semble. »
« Seigneur, dit la reine, je maintiens tout ce que je
t’ai raconté, il y a déjà quelque temps, mais j’agirai comme tu me l’ordonnes.
Je suis cependant très surprise que tu saches exactement quand l’enfant doit
naître. » – « Peu importe, dit le roi. Je te demande seulement d’agir
de cette façon sans te poser de questions. » Et le roi quitta Ygerne pour
aller à la recherche de Merlin. Mais il ne le vit pas, et passa sa journée à
rôder dans les corridors sans pouvoir trouver le calme. Il savait bien qu’il
était responsable de tout et il en ressentait quelques remords. Cependant, sa
confiance en Merlin était telle qu’il ne doutait pas, au fond de lui-même, que
celui-ci ne lui vînt en aide.
C’est en fin d’après-midi que la reine Ygerne ressentit les
premières douleurs. Le travail dura jusqu’à l’heure annoncée par le roi et
l’enfant naquit peu après minuit. Aussitôt, Ygerne appela une de ses suivantes,
celle qu’elle pensait être la plus discrète. Et elle lui dit : « Mon
amie, prends cet enfant et va à la porte de la forteresse. Si tu trouves là un
homme qui le réclame, tu le lui donneras. Mais je t’en prie, essaie de voir
quelle espèce d’homme ce sera. »
La suivante obéit. Elle enveloppa l’enfant dans les plus
beaux langes qu’elle put trouver et l’emporta jusqu’à la porte de la
forteresse. Là, elle aperçut un homme qui lui parut dans un état d’extrême
faiblesse. « Qu’attends-tu là ? » lui demanda-t-elle. L’homme
lui répondit d’une voix rauque : « J’attends ce que tu
m’apportes ! »
« Mais dis-moi au moins qui tu es, afin que ma
maîtresse puisse connaître celui à qui elle confie son enfant ! » –
« Tu n’as pas à le savoir, répondit l’homme, et ta maîtresse non plus.
Contente-toi de faire ce qui t’a été ordonné. » Effrayée, la suivante lui
donna l’enfant. L’homme disparut dans la nuit, emportant son léger fardeau,
mais d’une démarche si maladroite qu’on eût dit qu’il allait tomber.
La suivante revint auprès de la reine. « Dame, lui
dit-elle, j’ai donné l’enfant comme tu me l’avais ordonné. Cet homme qui
m’attendait était un vieillard qui me semblait très faible, mais je ne sais
rien de plus sur lui. » Et la reine Ygerne se mit à pleurer, en proie à un
atroce chagrin.
Cependant, le vieillard à qui la suivante avait confié
l’enfant s’éloignait sur le chemin. Et plus il s’éloignait de la forteresse,
plus sa démarche devenait normale et forte. Il sauta sur un cheval, portant
toujours l’enfant contre lui. Et après avoir chevauché pendant une partie de la
nuit, il arriva dans une maison où brillait encore de la lumière. Il entra dans
la maison et vit un homme qui veillait au coin du feu. L’homme se leva à son
entrée et lui dit : « Je t’attendais. M’apportes-tu l’enfant dont tu
m’as parlé ? » – « Oui, Antor, répondit l’autre, qui avait
repris les traits habituels de Merlin. Je te confie cet enfant, car je sais que
tu l’élèveras comme s’il était ton propre fils. » – « Je t’ai donné
ma parole, dit l’homme que Merlin avait appelé Antor, et je n’y reviendrai pas.
Je t’ai promis d’élever cet enfant en compagnie de mon fils Kaï sans jamais
chercher à savoir de quels parents il est né. » – « C’est bien ainsi
que je l’entendais, dit Merlin. Demain, tu l’emmèneras jusqu’à l’église et tu
le feras baptiser. » – « Oui, dit Antor, mais sous quel nom dois-je
le faire baptiser ? » Merlin se mit à rire et dit : « Bonne
question ! Tu lui donneras le nom d’Arthur. » Et ayant ainsi parlé,
Merlin quitta la maison d’Antor, sauta sur son cheval et disparut comme l’ombre
d’un nuage dans le ciel lorsque le vent souffle sur le
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