La naissance du roi Arthur
lendemain matin, quand elle se réveilla, elle s’aperçut
qu’elle n’avait pas allumé la lampe et qu’elle ne s’était pas signée. De plus,
elle sentait bien que quelque chose n’était plus comme avant. Elle se leva en
hâte, persuadée qu’il y avait quelqu’un dans la chambre. Mais elle ne vit
personne. Elle alla jusqu’à la porte : celle-ci était fermée de
l’intérieur. Elle comprit alors que le diable l’avait abusée, et, une fois
habillée, elle se précipita chez le prêtre Blaise pour lui raconter ce qui
était arrivé. « J’étais tellement en colère, dit-elle, que j’ai oublié de
me signer comme j’ai oublié d’agir selon vos recommandations. Je me suis donc
couchée tout habillée, sans allumer la lampe, et dans cet état de fureur. Or
voici qu’à mon réveil je me suis rendu compte que j’avais été déshonorée, que
je n’étais plus vierge. Alors j’ai fouillé ma chambre, mais en vain, et je me
suis même assurée que la porte était bien fermée. Je jure que cela s’est passé
comme je l’ai dit : j’ai été abusée par le diable et je vous supplie,
saint homme, de me venir en aide et de sauver mon âme, même si je dois être
suppliciée dans mon corps. »
Le prêtre Blaise fut fort surpris de ce que disait la jeune
fille, car il n’avait jamais rien entendu de tel. « Mon amie, dit-il, tu
es possédée par le démon et il est encore en toi. Comment puis-je alors écouter
ta confession et te donner une pénitence ? Je suis persuadé que tu mens,
car jamais femme ne perdit sa virginité de la façon que tu dis, sans savoir qui
est le coupable, ou du moins sans le voir. Voudrais-tu me faire croire qu’une
telle chose t’est arrivée durant ton sommeil ? » La jeune fille répondit :
« Dieu me sauve et me préserve de tous les maux ! Je vous jure sur
mon salut éternel que je dis la vérité ! » Fortement ébranlé par
l’accent de sincérité qui émanait des paroles de la jeune fille, et ému par sa
douleur, le prêtre Blaise tenta de la consoler du mieux qu’il pût. Mais il lui
dit qu’il ne lui donnerait l’absolution que lorsqu’il aurait la certitude que
tout s’était passé ainsi qu’elle l’avait dit. Et il renvoya la jeune fille chez
elle en lui ordonnant de garder le silence sur cette affaire.
Pendant les semaines qui suivirent, la jeune fille mena une
vie exemplaire et ne cessa de prier longuement, tant au cours de la journée que
le soir, avant qu’elle ne s’endormît. Le démon qui l’avait ainsi tourmentée
comprit qu’il l’avait bel et bien perdue, car jamais il ne pourrait plus rien
sur elle, et il fut très chagriné par cet échec. La jeune fille vécut ainsi
jusqu’au moment où il lui fut impossible de dissimuler son état : car elle
grossissait et s’arrondissait, si bien que les femmes qui la servaient s’en
aperçurent et lui dirent qu’elle était enceinte. Elle leur répondit que c’était
vrai. Mais quand elles lui eurent demandé de qui elle était enceinte et qu’elle
eut répondu qu’elle ne le savait pas, elles s’écrièrent : « Faut-il
que vous ayez couché avec tant d’hommes pour ne pas savoir qui est le
père ! » Elle leur dit alors : « Que Dieu me refuse
d’accoucher si j’ai eu consciemment des rapports avec un homme ! » À
ces mots, les femmes se signèrent et dirent tristement : « Voilà qui
est chose impossible. Cela n’est arrivé à aucune femme, à toi pas plus qu’aux
autres. C’est sans doute que tu aimes en secret celui qui est responsable de ta
grossesse et que tu veuilles le protéger. Car la loi est formelle : quand
les juges sauront ton état, tu devras ou périr sur le bûcher, avec ton amant si
on le retrouve, ou bien tu devras devenir prostituée, vendant ton corps à ceux
qui te paieront ! » La jeune fille fut effrayée par ce que disaient
les femmes. Elle leur dit encore : « Que Dieu sauve mon âme, aussi
vrai que je n’ai jamais vu ni connu celui qui m’a mise dans cet
état ! » Et quand les femmes furent parties, elle s’en alla tout
raconter au prêtre Blaise.
Le prêtre ne put plus douter de la réalité : la jeune
fille était enceinte. De plus en plus surpris, il se fit confirmer la nuit et
l’heure où l’événement s’était produit. Puis, après avoir longuement réfléchi,
il lui dit : « Ne crains rien : quand cet enfant que tu portes
naîtra, je saurai bien si tu me dis la vérité. Si tout s’est passé comme
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