La naissance du roi Arthur
cause
d’elle que des catastrophes se sont abattues sur mon grand-père, ainsi que sur
le frère et la sœur de ma mère, comme celle-ci te l’a raconté. Je ne suis pas
l’esclave de l’Ennemi, bien au contraire, mais un serviteur de Dieu, comme toi.
Or donc, je te demande de me croire, de croire tout ce que je dirai et tout ce
que je t’enseignerai au nom de Notre Seigneur. Tout ce que je te révélerai, il
faudra que tu le mettes par écrit, que tu en fasses un livre, afin que la
postérité en garde témoignage. Et je te raconterai d’abord qu’il y a, non loin
d’ici, dans un château que l’on nomme Corbénic, une coupe d’émeraude dans
laquelle a été conservé le sang de Notre Seigneur. C’est une coupe très
précieuse, que peu d’êtres humains ont eu le privilège de contempler, et que le
bon Joseph d’Arimathie a apportée avec lui lorsqu’il est venu d’Orient, avec
toute sa famille et tous ceux qui ont la charge de veiller sur le Saint-Graal,
puisque tel est le nom de cette coupe. Mais tu ne peux comprendre encore ce que
je te dis. Contente-toi d’écrire l’histoire que je vais te raconter : plus
tard, tu en auras le sens et l’explication, quand le moment sera venu. »
Et l’enfant Merlin se mit à parler, lentement, calmement, sûrement, et le
prêtre Blaise transcrivait le Haut Livre du Saint-Graal, depuis les origines
jusqu’au moment où Alain, le Riche Roi Pêcheur, construisit la forteresse qui
abritait la coupe sacrée.
Et quand Blaise eut fini d’écrire, sous la dictée de Merlin,
celui-ci lui dit : « Maintenant, quitte cette ville et va dans la
forêt. Fais-toi ermite et prie Notre Seigneur à travers les arbres et les
fleurs, car ce sont des créatures comme toi. Je saurai exactement où tu seras
et je viendrai te rejoindre quand il faudra que je te parle à nouveau. Car
sache-le bien : j’aurai toujours recours à toi pour transmettre mon
message aux hommes qui seront capables de le comprendre. Les autres
considéreront cela comme un amusement, mais peu importe : ce qui doit être
fait sera fait. »
Ayant ainsi parlé, Merlin disparut brusquement de la vue de
Blaise sans que celui-ci pût comprendre comment cela s’était produit. Le prêtre
Blaise prit donc un bâton et s’en alla vers le nord jusqu’à une forêt où il se
construisit une hutte, sur un rocher, au bord d’une rivière, là où les oiseaux
du ciel venaient boire l’eau pure, et où les fleurs sauvages embaumaient l’air
de leurs parfums délicats. Et il médita longtemps sur les paroles de Merlin,
sachant que celui-ci viendrait un jour lui révéler d’autres merveilles qu’il
prendrait grand soin de transcrire pour que cela fût transmis aux générations
futures.
Mais, pendant que se déroulaient ainsi ces événements, les
messagers qu’avait envoyés le roi Vortigern à travers toute l’île de Bretagne
afin de découvrir un enfant sans père dont le sang fortifierait les fondations
de sa tour parcouraient tout le pays sans parvenir à un quelconque résultat.
Ils allaient deux par deux, de ville en ville, de village en village, d’une
vallée à l’autre, ils interrogeaient les habitants, prenaient conseil des
vieillards, consultaient les devins et les astrologues : personne ne connaissait
un enfant dont le père n’appartenait pas à la race des hommes. Finalement, deux
de ces messagers en rencontrèrent deux autres et décidèrent de poursuivre
ensemble leurs recherches. Or, un jour qu’ils traversaient un grand champ à
l’entrée d’une ville, ils virent de nombreux enfants qui jouaient au jeu de la
soule. Et parmi ces enfants se trouvait Merlin. Il aperçut les messagers, et,
comme il savait les choses à venir, il comprit que ces hommes le cherchaient.
Alors, il s’approcha d’un de ses camarades de jeu qu’il savait violent et fier
de sa naissance, et, comme s’il s’agissait d’une maladresse, il lui donna un
violent coup de pied dans la jambe. Le camarade se mit à pleurer et, dans sa
souffrance mêlée de colère, il se mit à injurier Merlin et à l’appeler
« fils dont on ne connaît pas le père ». Les messagers, qui avaient
vu l’incident, entendirent ce que criait le garçon. Aussitôt, ils se dirigèrent
vers l’enfant qui avait prononcé l’injure, et ils lui demandèrent :
« Qui donc t’a frappé ? » L’enfant, à travers ses larmes,
répondit : « Le fils d’une femme qui n’a jamais su qui avait engendré
son enfant, et
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