La naissance du roi Arthur
l’avenir. Il y avait là, selon sa conscience,
quelque chose qui appartenait au domaine du diable. Et pourtant la sagesse de
l’enfant n’était pas à mettre en doute : or cette sagesse ne pouvait être
l’œuvre de l’Ennemi. Blaise se mit donc à poser à Merlin des questions en
apparence innocentes afin de le pousser dans ses ultimes retranchements et
tenter de savoir ce qu’il en était réellement, tant et si bien que Merlin se
mit presque en colère contre le prêtre. Il lui dit : « Blaise, ne
cherche pas ainsi à me mettre à l’épreuve. Plus tu agiras ainsi, moins je te
répondrai, et tu seras de plus en plus embarrassé. Fais plutôt ce que je
demanderai et aie pleine confiance en ce que je te dirai. »
Blaise se sentait mal à l’aise devant cet enfant qui
paraissait ne pas avoir d’âge, dont le corps frêle ne correspondait pas du tout
avec les paroles graves qu’il prononçait. « Merlin, dit-il, je t’ai
entendu dire de ta propre bouche que tu étais le fils d’un diable. Pour ma
part, je te crois. Mais ne t’étonne pas de mes réticences, car j’ai peur que tu
ne cherches à me tromper. » Merlin se mit à rire, comme s’il se moquait de
Blaise. Il le regardait avec des yeux pleins de malice et Blaise ne pouvait
plus supporter son regard. « Allons ! lui dit Merlin, c’est
l’habitude des méchants de retrouver partout les défauts qui sont en eux :
ils en deviennent incapables de discerner le bien lorsque celui-ci se dissimule
dans une forêt de maléfices. Autrement dit, ils voient le mal partout. Je ne
prétends pas que tu sois méchant, Blaise, mais à force de côtoyer les gens qui
pensent et font le mal, tu as été atteint par les mêmes flèches du doute et de
l’erreur. Tu m’as entendu dire que j’étais le fils d’un diable, et tu n’as aucune
raison de douter de cette réalité. Mais crois-tu que le fils du diable puisse
être lui-même le diable en personne ? Tu es esclave de cette absurdité
qu’on répète à loisir : tel père, tel fils. Pourquoi veux-tu qu’il en soit
ainsi pour tous les êtres ? C’est blasphémer que de le dire, car chaque
être est responsable devant Dieu non seulement de ses actes, mais de ses
moindres pensées, et quand un père est criminel, faut-il pour autant condamner
son fils ? »
Blaise n’avait jamais entendu un pareil discours. « Mais,
dit-il encore, un criminel est un être humain qui peut se repentir et que Dieu
peut sauver s’il le mérite. Or, le diable, quel qu’il soit, n’est pas un être
humain et ne peut être pardonné, ni sauvé. Je crains fort que le fils d’un
diable soit un diable lui-même. » Merlin se mit encore à rire :
« Décidément, tu es un beau raisonneur. Je crois qu’il me faut utiliser
les mêmes raisonnements que toi. Tu m’as entendu dire que j’étais le fils d’un
diable, soit. Mais tu m’as également entendu dire que Dieu m’avait donné le
pouvoir et la faculté de connaître l’avenir. Sais-tu pourquoi Dieu m’a donné ce
pouvoir ? Car Dieu ne fait jamais rien au hasard, même si sa volonté n’est
pas comprise sur le moment. Apprends donc que Dieu m’a donné ce pouvoir parce
qu’il fallait détruire le projet maléfique qui était celui des diables
lorsqu’ils voulurent avoir un être humain qui soit leur messager sur la terre.
Dieu, dans sa grande sagesse, a permis que je gardasse tous les dons et
pouvoirs qui m’ont été transmis par mon géniteur, mais il a fait en sorte que
ces dons et pouvoirs pussent servir pour le bien des hommes et
l’accomplissement du grand plan divin qui prend forme depuis que le monde a été
créé. Et, de plus, il m’a donné la faculté de lire dans le grand livre de
l’avenir, du moins certaines pages de ce grand livre : car sache bien que
seul Dieu connaît la totalité de ce qui adviendra, et que nulle créature ne
peut prétendre se substituer à lui. »
Le prêtre Blaise écoutait avec admiration les paroles de
l’enfant. « Sais-tu encore, continua Merlin, que le plan des diables s’est
retourné contre eux ? Le vase qui reçut la semence maudite était trop pur
pour leur appartenir, et la vertu de ma mère était telle que non seulement elle
n’a jamais été souillée elle-même, mais elle m’a préservé du destin qui m’était
dévolu. Si les démons avaient fécondé ma grand-mère, cela ne se serait pas
passé de cette façon, car elle était maudite avant l’heure ; c’est à
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