La naissance du roi Arthur
triompher le bon droit de Dieu et le sien. Encore une fois, et
avant d’aller plus loin, je veux que tu saches que ma mère n’a pas mérité le
châtiment que vous voulez tous lui infliger. Fais en sorte qu’elle soit
acquittée et renonce à enquêter sur ta propre mère. » Mais le juge n’en
voulait rien savoir : « Tu ne t’en sortiras pas ainsi, dit-il, il
faut que tu en dises davantage. » Merlin le regarda droit dans les yeux.
« Tu te repentiras de ton obstination, mais puisque tu le veux, je vais
parler. Tu veux faire brûler ma mère parce qu’elle m’a mis au monde sans savoir
qui m’avait engendré, mais si je le voulais, elle saurait mieux dire qui est
mon père que toi nommer le tien. Et ta mère sait mieux de qui tu es le fils que
la mienne, qui ne pourrait encore le dire. » Le juge se tourna vers sa
mère et la pria de répondre : « Cet enfant débite des folies »,
dit-elle. Le juge insista : « Ma mère, ne suis-je pas le fils de
votre époux légitime ? » La mère répondit : « Bien sûr que
si. » C’est alors que Merlin prit la parole : « Dame, il te faut
dire la vérité, même si cette vérité t’en coûte beaucoup. Car si tu ne la dis
pas maintenant, ton fils aura toujours des doutes et il en concevra de
l’amertume envers toi. » La dame se mit en colère et s’écria :
« La vérité ! mais je l’ai dite, la vérité, maudit démon qui vient
tourmenter les honnêtes gens et leur raconter des balivernes ! »
Merlin insista : « Dame, tu sais très bien qu’il n’est pas le fils de
celui qu’il croit. » La mère du juge commençait à être inquiète. « Et
de qui est-il le fils ? » demanda-t-elle.
« Tu sais bien qu’il est le fils du prêtre de ton
église. Et je vais t’en donner la preuve : la première fois que tu as
couché avec lui, tu lui as dit que tu avais peur qu’il ne te fasse un enfant.
Il t’a répondu que cela ne se produirait pas, et que d’ailleurs, chaque fois
que vous coucheriez ensemble, il noterait soigneusement le jour et l’heure. En
fait, il craignait que tu pusses le tromper avec un autre homme, d’autant plus
qu’à cette époque tu étais brouillée avec ton mari. Lorsque l’enfant a été
conçu, tu n’as pas tardé à te plaindre d’être enceinte. » Le juge n’en
croyait pas ses oreilles. « Est-ce vrai, ma mère ? »
demanda-t-il. « C’est un tissu de mensonges et d’inepties ! »
s’écria-t-elle. « Mais je n’ai pas terminé, dit Merlin. Voici donc comment
les choses se sont passées : quand tu t’es aperçue que tu étais enceinte,
tu as demandé au prêtre de te réconcilier avec ton mari avant qu’il ne remarque
ton état. Le prêtre est allé le trouver et a su si bien l’entortiller que vous
vous êtes effectivement réconciliés et que vous avez couché ensemble. Il a donc
cru que l’enfant était de lui, comme le croient la plupart des gens. Et ton
fils, ici présent, en est lui-même persuadé. Mais par la suite, le prêtre et
toi, vous avez continué votre manège, et vous le continuez encore. La veille
même de ton départ, tu as couché avec le prêtre et, au matin, il t’a
accompagnée un bout de chemin en te recommandant de faire très exactement la
volonté de votre fils, car il sait très bien, lui, d’après ce qu’il a noté, que
l’enfant était de lui. »
Merlin se tenait droit devant le juge et sa mère. Celle-ci
tremblait de tous ses membres, et elle dut s’asseoir, tant l’angoisse la
tenaillait. « Ma chère mère, dit le juge, qui semblait très ému, ma chère
mère, quelle que soit la vérité, je te conjure de la dire. Est-ce que cet
enfant a dit vrai ? » La mère du juge se mit à pleurer :
« Mon fils, murmura-t-elle péniblement, mon fils, je te conjure de
m’accorder ta pitié. Je ne peux plus te le cacher : il en a été comme cet
enfant l’a dit. » Le juge se tourna alors vers Merlin : « Il
n’est donc pas juste que je punisse ta mère quand je ne punis pas la mienne.
Merlin, je te demande, au nom de Dieu, et afin que je puisse vous disculper
devant le peuple, ta mère et toi, qui donc est ton père ? »
« Je vais te le dire, et plus par amitié pour toi que
par crainte de l’autorité que tu représentes. Apprends donc que je suis le fils
d’un démon qui a séduit ma mère pendant son sommeil et qui l’a engrossée sans
qu’elle ne s’en rendît compte. Apprends également que les démons de cette
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