La naissance du roi Arthur
s’écrièrent : « Quel démon a donc pu lui apprendre quel
était l’objet de notre mission ? » Merlin les regardait avec
insolence. « Si c’était moi qui étais chargé de retrouver Merlin, pour
sûr, j’y arriverais avant vous. » À ces mots, les messagers l’entourèrent,
car ils comprenaient que le rustre avait certainement des nouvelles à leur
transmettre. « Connais-tu donc Merlin ? » demandèrent-ils.
Merlin se mit à rire encore plus fort, puis il dit : « Je sais bien
où il se trouve, et quant à lui, il sait fort bien que vous le cherchez. Sachez
cependant que vous ne le trouverez pas si telle n’est pas sa volonté. Il m’a
pourtant chargé de vous dire que vous perdez votre temps : en admettant
que vous le trouviez, il ne consentirait jamais à vous suivre. Et, lorsque vous
reviendrez auprès de votre roi, apprenez-lui qu’il ne prendra pas la forteresse
qu’il assiège avant la mort de Hengist. Sachez encore qu’il n’y a que cinq
personnes dans toute l’armée du roi Emrys qui peuvent se targuer de connaître
Merlin, et qu’il n’y en aura plus que trois quand vous serez de retour. Enfin,
dites à votre maître et à ses conseillers que s’ils venaient dans cette région
et pénétraient dans la forêt, ils trouveraient Merlin. Mais je vous affirme que
si le roi ne vient pas lui-même, personne n’aura le pouvoir de lui amener
Merlin, car le devin n’a pas l’habitude de se déranger à propos de n’importe
quoi, ni d’écouter n’importe qui. » Alors, sans que les messagers pussent
savoir ce qu’il était devenu, l’Homme Sauvage disparut de la pièce où se
tenaient les messagers.
Ceux-ci étaient tout ébahis, se demandant s’ils avaient rêvé
ou s’ils avaient réellement vu et entendu un rustre leur parler ainsi du devin
Merlin. Puis, après s’être concertés, ils décidèrent qu’ils iraient rapporter
cet étrange événement au roi Emrys et à ses conseillers. « Nous verrons
bien, dirent-ils encore, si les deux conseillers dont parlait le rustre sont
vraiment morts. » Ils chevauchèrent donc une nuit entière avant de
parvenir auprès du roi. « Alors, demanda celui-ci dès qu’il les vit,
avez-vous trouvé Merlin ? » Les messagers étaient plutôt embarrassés.
L’un d’eux répondit : « Seigneur roi, nous allons t’expliquer ce qui
nous est arrivé, mais pour cela il faudrait que tu réunisses ton conseil et que
nous parlions devant lui. »
Le roi Emrys fit rassembler ses conseillers et les emmena,
en compagnie des messagers, dans un endroit retiré. Les messagers rapportèrent
avec exactitude leur extraordinaire aventure et toutes les paroles prononcées
par le mystérieux bûcheron. Ils ajoutèrent qu’il leur avait dit que deux des
cinq conseillers qui connaissaient Merlin seraient morts avant qu’ils ne
reviennent eux-mêmes. On leur répondit qu’effectivement deux des conseillers
étaient bel et bien morts. Tous se demandèrent alors avec étonnement qui
pouvait bien être cet homme si laid et si effrayant dont leur parlaient les
messagers. Ils ignoraient en effet que Merlin, en vertu des pouvoirs qu’il
avait reçus des diables, pouvait, lorsqu’il le désirait, prendre toutes les
formes qui lui plaisaient.
Cependant, après avoir fait le récit de leurs aventures, les
messagers dirent au roi : « Nous sommes à peu près certains que c’est
Merlin en personne qui nous a parlé. Personne en dehors de lui n’aurait pu
prédire ainsi la mort de tes conseillers, ou encore dire que la forteresse que
tu assièges ne pourra être prise avant la mort de Hengist. » Les trois
conseillers survivants, et qui étaient donc les seuls à connaître Merlin,
invitèrent le roi à se rendre lui-même dans la forêt de Kelyddon. Après avoir
mûrement réfléchi, Emrys se décida à suivre cet avis. Il confia la poursuite du
siège à son frère Uther, fit ses préparatifs de départ et prit la route en
compagnie des trois hommes qui étaient les seuls à pouvoir reconnaître le
devin. Une fois arrivé dans la forêt de Kelyddon, il interrogea les gens qu’il
rencontrait sur Merlin, mais personne ne put rien lui dire. Comme il poursuivait
ses recherches à travers les landes et les bois, l’un de ses compagnons aperçut
un grand troupeau de bêtes que gardait un homme très laid. Voici comment était
cet homme : il avait des cheveux rudes et crépus ; si on avait
renversé un sac plein de pommes sauvages sur son crâne,
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