La naissance du roi Arthur
pas une pomme ne serait
tombée sur le sol, mais chacune d’elles se serait accrochée à ses cheveux. Si
sa tête avait été jetée contre une branche, la tête et la branche n’auraient pu
se détacher. Long et épais comme un joug était chacun de ses deux tibias.
Chacune de ses deux fesses avait la forme d’un fromage posé sur un brin
d’osier. Il portait à la main une perche à la pointe de fer fourchue et noire,
et sur son dos un cochon roux tacheté de noir qui ne cessait de crier [57] .
Le compagnon du roi lui demanda qui il était. L’autre lui
répondit qu’il gardait les bêtes de son seigneur. « Pourrais-tu me
renseigner sur un homme nommé Merlin ? » demanda alors le compagnon.
« Non, répondit le gardien des bêtes, mais j’ai vu hier un homme qui m’a
appris que le roi viendrait chercher un devin dans ces bois. Peux-tu me dire ce
qu’il en est ? » Le compagnon dit : « C’est exact. Mais
toi, que sais-tu exactement ? Peux-tu me dire où se trouve ce
Merlin ? » Le rustre répondit : « C’est au roi que je
parlerai, et non pas à toi. » Le compagnon dit : « Alors, viens
avec moi, je te conduirai vers le roi. » L’autre refusa
catégoriquement : « Et mes bêtes ? Si je n’étais pas là, elles
seraient bien mal gardées. Au reste, je n’ai nul besoin de voir le roi. C’est
lui qui a besoin de moi, de moi qui pourrais bien lui dire comment trouver
celui qu’il cherche. » Là-dessus, le compagnon quitta le rustre et se mit
à la recherche du roi. Quand il l’eut rencontré, il lui raconta son entrevue
avec le rustre et ce qu’on pouvait attendre de cet homme. Puis il conduisit le
roi jusqu’à l’endroit où le rustre gardait ses bêtes. « Voici le roi, dit
le compagnon à l’Homme Sauvage. Parle-lui, comme tu me l’as annoncé. »
Le rustre dit à Emrys : « Je sais bien que tu
recherches Merlin, mais je sais aussi que tu ne pourras pas le trouver avant
qu’il n’y consente. Voici ce que je te conseille de faire : retourne dans
une de tes bonnes villes, pas trop loin d’ici, et attends qu’il t’envoie un
messager. » Le roi n’était guère disposé à croire ce que disait
l’autre : « Comment puis-je être sûr de ce que tu me
dis ? » Le gardien des bêtes se mit à rire grossièrement et
dit : « Si tu ne me crois pas, retourne donc chez toi et passe ton
temps auprès du feu en écoutant de belles histoires, car ce serait folie de
suivre un conseil auquel on ne croit pas ! » Et sur ces paroles, le
rustre quitta le roi et alla au milieu de ses bêtes.
Emrys était fort perplexe, mais comme il désirait avant tout
savoir où se trouvait Merlin et l’interroger sur le sort de la guerre, il se
décida à venir loger dans une ville toute proche de là. Les jours passèrent,
mais rien de nouveau ne se présentait, et le roi commençait à regretter d’avoir
suivi un conseil dont il doutait, quand un homme bien habillé, bien chaussé et
qui avait fort bonne allure demanda à lui parler. Le roi le fit entrer.
« Seigneur, lui dit le visiteur, sache que Merlin te salue et m’envoie
auprès de toi. Il te fait savoir que c’est lui-même que tu as vu dans la forêt
en train de garder un troupeau de bêtes et qui t’a dit, souviens-t’en, qu’il
viendrait te parler quand il l’aurait décidé. Il n’a pas menti, mais il sait
que tu n’as pas encore vraiment besoin de lui. » Emrys répondit :
« J’ai pourtant grand besoin de lui, et il n’est pas un seul homme au
monde que je désire aussi ardemment connaître. » Le visiteur se mit à rire
et dit : « Dans ce cas, je peux te révéler ce qu’il m’a dit de te
transmettre : Hengist est mort, et c’est ton frère Uther qui l’a tué. »
Le roi fut stupéfait et s’écria : « Comment est-ce
possible ? » Le visiteur lui répondit : « Merlin ne m’a
rien dit de plus à ce sujet, mais toi, tu es bien fou de mettre en doute ses
paroles avant d’avoir cherché à les vérifier. Informe-toi d’abord, et ensuite,
accorde-lui ta confiance. »
Et sans ajouter un mot, le visiteur prit congé et disparut.
Emrys choisit immédiatement deux hommes de confiance, leur donna les meilleures
montures dont il disposait et leur ordonna de se rendre au plus vite auprès de
son frère Uther pour savoir si Hengist était réellement mort. Les messagers se
hâtèrent mais, en cours de route, ils rencontrèrent des hommes d’Uther qui
venaient apporter la nouvelle
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