La naissance du roi Arthur
ferme. Uther et les siens se répandirent
entre les navires et les tentes et obligèrent ainsi leurs ennemis à camper dans
une plaine stérile et sans eau, coupés de leurs bateaux et manquant de vivres.
Deux jours durant, Uther sut si bien les contenir qu’ils ne purent reprendre
leur chemin vers l’intérieur de l’île. Le troisième jour, le roi Emrys fit
mettre en marche les troupes qu’il avait gardées auprès de lui et disposa ses
corps de bataille. Les Saxons se virent encerclés et prirent peur, d’autant
plus que, dans le ciel, apparut un dragon vermeil qui crachait des flammes et
qui survola longuement l’armée saxonne, répandant la terreur et le désarroi.
Emrys et Uther lancèrent alors l’assaut. La bataille fut difficile et acharnée
car, malgré leur position défavorable, les Saxons étaient beaucoup plus
nombreux que les Bretons, et ils se battaient avec l’énergie du désespoir. Le
bruit, le tumulte guerrier, les clameurs des uns et les hurlements des autres,
tout cela était tel qu’on n’eût pu entendre Dieu tonnant dans les airs. Il y
eut beaucoup de victimes, et le roi Emrys périt dans cette bataille acharnée,
comme l’avait prédit Merlin. Mais les Saxons furent vaincus et tués, et les
rares survivants durent s’enfuir en toute hâte et en grand désordre dans les
navires qu’ils avaient pu sauver du désastre.
C’est ainsi que se déroula la bataille de Salisbury que
gagna Uther et où mourut Emrys, que les clercs appellent Ambrosius, fils de
Constantin, et roi de Bretagne. Quand les Bretons apprirent qu’Emrys avait été
tué dans la bataille, ils se lamentèrent parce qu’ils n’avaient jamais connu un
roi aussi juste et aussi attaché à défendre leurs libertés. Mais ils
reconnurent immédiatement son frère Uther et, en souvenir du dragon qui était
apparu dans le ciel au moment du combat, ils donnèrent à celui-ci le surnom de
Pendragon, c’est-à-dire « Tête de Dragon » [58] . Uther donna des ordres pour
que fussent réunis et enterrés en un même endroit les corps des Bretons morts
dans cette bataille où s’était joué le sort du royaume. Il fit mettre à part le
corps de son frère et fit construire une tombe plus haute que les autres,
ajoutant qu’il ne ferait rien graver dessus, car il faudrait avoir bien peu de
discernement pour ne pas comprendre que celui qui était enterré là était celui qui
avait mené ses hommes à la victoire. Il se rendit ensuite dans une très sainte
église du royaume et s’y fit couronner roi en présence de tout le peuple
assemblé. Mais quinze jours plus tard, Merlin vint le trouver.
« Tu as décidément peu d’estime et de respect pour ton
frère, puisque tu t’es contenté de lui bâtir une tombe plus grande que celle de
ses compagnons. Je trouve cela très injuste, et je te demande de construire,
sur le lieu où il a péri, un monument digne des plus grands hommes de ce monde. »
Uther lui répondit : « Que puis-je faire de plus, Merlin, pour
honorer davantage la mémoire de mon frère bien-aimé ? Dis-le-moi, ô sage
Merlin, et je me conformerai en tous points à ce que tu m’ordonneras. »
Merlin lui dit : « Eh bien voici, Uther Pendragon, roi de Bretagne.
Je te demande d’édifier en ce lieu un monument qui puisse défier les siècles.
Rassure-toi, je t’aiderai dans l’accomplissement de ta tâche, car ni toi ni tes
hommes ne pourraient en venir à bout sans l’aide des puissances divines qui nous
animent. Mais c’est toi qui dois ordonner ces choses, car tu es le roi légitime
de ce pays et personne ne peut contester ton rang, ta puissance et ta
mission. » Uther Pendragon se sentait mal à l’aise. « Ne sois pas
inquiet, reprit Merlin. Je veux seulement que tu suives point par point ce que
je t’indiquerai. Mais tu comprendras qu’il s’agit d’une volonté royale et non
du caprice d’un devin comme moi, qui ne suis que l’interprète de Dieu auprès de
toi. »
« Parle, Merlin, je t’écoute », dit Uther. –
« Envoie en Irlande des navires avec des hommes de confiance. Ils devront
y découvrir d’énormes pierres qu’on trouve dans ce pays et les ramener avec
eux. Je vais te dire où elles se trouvent : sur la montagne de Killara,
dans un lieu que les anciens connaissaient bien, mais qui a été depuis
longtemps abandonné par les hommes. C’est là en effet que l’on peut découvrir
des pierres que personne de ce temps ne pourrait transporter ni assembler
Weitere Kostenlose Bücher