La naissance du roi Arthur
cette
bataille ? » Merlin les regarda l’un et l’autre sans insistance. Puis
il dit : « Seigneurs, tout ici-bas a un commencement et une fin,
c’est le lot commun de tous les êtres vivants, aussi bien des humains que des
animaux, des arbres, des fleurs, des herbes de la prairie. Il n’est pas bon de
redouter la mort, et chacun doit l’accepter comme il convient. Ni la puissance
ni la fortune ne peuvent vous préserver d’un destin qui est fixé par Dieu une
fois pour toutes. Mais vous me demandez si vous mourrez pendant la bataille, je
ne peux vous répondre que si vous me jurez l’un et l’autre sur les Évangiles
d’agir comme je l’ordonnerai. Ce sera pour votre bien, pour votre gloire, pour
le salut de votre âme et pour la prospérité de ce royaume. Alors, quand j’aurai
reçu votre serment, je vous révélerai avec moins d’appréhension ce que vous
devez savoir. »
On fit apporter les Évangiles, et les deux frères jurèrent
d’observer fidèlement les ordres de Merlin. Quand ce fut fait, ils lui
demandèrent de dire toute la vérité, même si celle-ci devait être désagréable à
entendre. « Roi Emrys, dit Merlin, tu m’as interrogé sur ta mort et sur
l’issue de cette bataille. Je te répondrai. Mais savez-vous d’abord ce que vous
m’avez juré l’un et l’autre ? De vous conduire au cours de ce combat avec
vaillance et loyauté, envers vous-mêmes et envers Dieu. Soyez purs et libérés
de toute faute, car votre mission est de défendre votre royaume contre des
ennemis sans pitié qui n’hésiteraient pas à réduire votre peuple en esclavage.
Soyez en paix avec Dieu et soyez assurés que vous lutterez contre des gens qui
ne croient pas en la Trinité ni aux tourments que souffrit Notre Seigneur sur
la Croix. Or, celui qui mourra en défendant sa foi en Jésus-Christ et le bien
de son royaume ne doit pas redouter la mort. Maintenant, je peux vous révéler
que l’un de vous mourra dans cette bataille, mais je ne vous dirai pas lequel.
Cependant, sur le lieu même du combat, le survivant lui fera, sur mes conseils,
la plus belle sépulture du monde et la plus grandiose, et qui subsistera tant
que le monde durera, forçant l’admiration de toutes les générations à venir.
Vous savez donc qu’il faut vous préparer. »
On en arriva ainsi à la fin du mois de juin. Les deux frères
accomplirent scrupuleusement ce que Merlin avait ordonné : ils réunirent
leurs vassaux et tous les hommes du royaume au jour fixé, au bord de la
rivière, dans la plaine de Salisbury. Ils distribuèrent abondamment leurs
richesses en s’efforçant de ne commettre aucune injustice et de récompenser
ceux qui se montraient les plus fidèles. Et, la première semaine de juillet, on
apprit que les Saxons s’étaient présentés sur la côte, avec une flotte immense,
et qu’ils avaient débarqué sur l’île de nombreuses troupes qui s’avançaient vers
l’intérieur des terres. Le roi Emrys avait envoyé des observateurs pour
surveiller l’avance de l’armée ennemie. Ayant entendu leur rapport qui
confirmait les prédictions de Merlin, il demanda à celui-ci ce qu’il devait
faire. Merlin lui répondit : « Envoie demain à leur rencontre ton
frère Uther avec une nombreuse troupe. Lorsqu’il se sera bien assuré que les
Saxons sont loin de la mer et à l’écart de la rivière, il devra leur barrer ces
deux directions afin d’obliger les ennemis à camper dans un endroit stérile et
sans eau. Il devra ensuite se retirer, puis, au matin, quand les Saxons
voudront reprendre leur progression, il devra les attaquer et les serrer de si
près qu’ils ne pourront poursuivre leur route. Et il agira ainsi pendant deux
jours. Le troisième jour, au lever du soleil, c’est toi qui engageras toutes
les troupes contre tes ennemis. » Ayant ainsi parlé, Merlin quitta le roi
Emrys et prit Uther à part. Il lui murmura simplement : « Uther,
veille à te conduire avec vaillance dans ce combat, car tu ne dois pas mourir.
Et tu verras, au moment décisif, apparaître un dragon vermeil qui volera dans
le ciel et qui crachera des flammes. »
Et Merlin quitta la cour pour rejoindre l’ermite Blaise dans
la forêt de Kelyddon.
Cependant, les deux frères agirent selon les conseils de
Merlin. Uther prit avec lui une partie des cavaliers, ceux qui lui paraissaient
les plus forts et les plus courageux, et il chevaucha jusqu’au camp des Saxons
qui s’étaient installés sur la terre
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