La naissance du roi Arthur
qu’Elffin fût tiré de sa prison pour le faire
comparaître devant lui. Il lui reprocha vivement sa vantardise et lui
dit : « Elffin, sache et ne doute plus que c’est folie pour un homme
de croire à la vertu de sa femme quand on est dans l’impossibilité de voir ce
qu’elle fait. J’ai la preuve que la vertu de la tienne est une illusion, car
voici son doigt avec ton anneau. Il a été coupé la nuit dernière par mon fils,
alors qu’elle dormait avec lui, plongée dans le sommeil de l’ivresse. »
Elffin regarda attentivement le doigt et l’anneau. Puis il dit :
« Avec ta permission, roi Maelgwn, je vais rectifier tes paroles. Certes,
je ne peux renier mon anneau, que tout le monde connaît, mais je prétends
absolument que le doigt sur lequel il se trouve n’a jamais appartenu à la main
de mon épouse. Il y a trois choses qui le prouvent, et voici lesquelles :
la première est que partout où aurait été ma femme, jamais cet anneau ne serait
resté à son doigt, qu’elle fût couchée ou assise, car tu peux constater qu’on
peut facilement faire glisser l’anneau sur la jointure du doigt ; la
seconde est que ma femme, depuis que je la connais, n’a jamais laissé passer un
samedi sans se faire les ongles avant d’aller se coucher, et tu peux constater
que l’ongle de ce petit doigt n’a pas été fait depuis au moins trois mois. La
troisième chose, enfin, c’est que la main d’où a été coupé ce petit doigt a
pétri du seigle il n’y a pas trois jours, et je puis assurer que, depuis mon
mariage, ma femme n’a jamais pétri de seigle ! »
Le roi Maelgwn fut grandement chagriné et courroucé contre
son neveu Elffin parce qu’il lui avait tenu tête aussi obstinément pour
défendre la réputation de sa femme. L’échec de Rhun retombait sur lui et il
n’avait pas un caractère capable d’admettre un échec. « Fort bien, dit-il
à Elffin, je reconnais que ton épouse est irréprochable, mais il y a autre
chose : tu m’as dit que ton barde était plus habile que les miens. Il te
reste à le prouver. » Il ordonna donc de reconduire Elffin dans sa prison
et déclara en public qu’il l’y laisserait jusqu’à ce que fussent justifiées les
paroles qu’il avait prononcées. Et Maelgwn s’en retourna parmi les siens, avide
d’entendre les chants de louanges dont ses bardes le comblaient.
Cependant, au même moment, Taliesin, qui savait tout ce qui
se passait ailleurs, racontait à l’épouse d’Elffin comment celui-ci avait
justifié sa vertu et sa fidélité. Il lui dit encore qu’Elffin avait été
reconduit à sa prison, mais qu’elle ne devait pas en être affligée, car il
allait, lui, Taliesin, partir pour la cour du roi Maelgwn, et justifier par des
actes ce qu’avait prétendu Elffin. Elle lui demanda de quelle manière il s’y
prendrait pour arriver à ses fins, et Taliesin lui répondit par un chant :
« Un voyage j’accomplirai, et j’irai vers la grande porte de la
forteresse. J’entrerai dans la grande salle et je dirai mes paroles devant les
bardes du roi, en présence de celui-ci et de tous les nobles du royaume. Je les
saluerai, par dérision, et je les réduirai à merci pour la plus grande gloire
d’Elffin. Ne t’inquiète pas, maîtresse, toi qui as été pour moi meilleure que
la meilleure des mères, je délivrerai Elffin de ses chaînes et je le ramènerai
ici, auprès de toi… »
Taliesin prit congé de l’épouse d’Elffin et se dirigea vers
la forteresse de Deganwy. Tandis qu’il cheminait ainsi, le long du rivage, il
vit un homme venir à lui, qui marchait à grands pas, semblant aller dans la
même direction. Il le salua aimablement et lui demanda quel était le but de son
voyage. L’autre lui répondit qu’il ne savait pas où il allait, mais qu’il
savait qu’il allait rencontrer quelqu’un qui avait de grandes affinités avec
lui. « Sais-tu qui je suis ? » lui demanda Taliesin. « Bien
sûr, répondit l’homme. Tu es Taliesin, celui qui est né de la magicienne
Keridwen. Mais tu n’as pas été toujours ainsi. Autrefois, tu étais Gwyon le
Petit, et je sais que la magicienne t’avait chargé de veiller sur le chaudron
de connaissance et d’inspiration qu’elle mettait tant de soin et de patience à
préparer. Mais contrairement à ce qu’elle avait prévu, les trois gouttes de
sagesse et d’inspiration sont venues en toi, et t’ont donné la vision des
choses cachées. Je sais que tu es Taliesin
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