La nuit de l'ile d'Aix
asile et des moyens d’existence. »
À la même heure, à bord du H.M.S. Superbe, ancré dans la baie de Quiberon, le contre-amiral Henry Hotham, commandeur de l’ordre du Bain, médite les directives qu’il vient de recevoir du cabinet britannique. Depuis qu’il a débarqué avec ses chaloupes à Saint-Gilles Louis de la Rochejaquelein, vingt mille fusils et cinq cent mille cartouches, l’honorable Sir Henry Hotham ronge son frein. Sa mission se réduit à une navigation de surveillance. Il s’ennuie. Enfin du nouveau ! Et quelles perspectives !
Le plan qui a retenu l’attention de Sa Seigneurie et celle du ministre français, et qui sera suggéré à l’officier chargé de la mission, est le suivant : s’assurant d’abord que Buonaparte est embarqué en rade de l’île d’Aix, on peut conclure qu’il est sûr, ou se croit sûr, du gouverneur et de la garnison des forts qui protègent le mouillage. Comme ces forts sont de taille considérable, j’ai peu d’espoir que vous soyez en mesure de les réduire au silence et de capturer Buonaparte aussi longtemps qu’il se trouvera sous leur protection. [...]
Il est donc utile, avant de passer à l’attaque, d’envoyer un parlementaire au gouverneur de l’île d’Aix pour l’informer que sur ordres formels du roi de France vous êtes sur le point de vous emparer de l’ennemi commun ; vous n’êtes animé d’aucune intention hostile envers les bâtiments et les sujets de Sa Majesté Très Chrétienne, mais vous les considérez au contraire comme des alliés, aussi longtemps qu ‘ils ne se dresseront pas contre l’autorité royale. Vous ne désirez ni capturer ni endommager les bâtiments français, ni les importuner au-delà de la simple capture de Buonaparte, à l’exception des mesures que leur opposition rendrait nécessaires. [...] Vous pourrez ajouter que le gouvernement français vous a assuré que le Roi considérera la perte de tout marin britannique engagé dans l’exécution de cet ordre comme un meurtre, dont le gouverneur de la garnison d’où le coup sera parti sera tenu pour responsable. Cet avertissement sera accompagné d’un ordre du Roi, tendant vers le même but, et dès qu’ils auront été remis au gouverneur, vous devrez commencer votre attaque, de façon à ne pas laisser aux proches de Buonaparte le temps d’agir sur l’état d’esprit de cet officier. [...] Si vous estimez l’attaque difficile et sans chances de succès ou si, ayant engagé le combat, vous ne jugez pas expédient de le continuer, vous poursuivrez le blocus avec la plus grande vigilance, et si vous avez besoin de renforts vous les prélèverez dans la région de Brest, ou écrirez à Lord Keith par un de vos courriers.
Si Buonaparte, le gouverneur du fort ou le commandant de la croisière offrent la reddition sous conditions, Lord Castlereagh est d’avis que vous devez répondre que vous n’avez pas qualité pour prendre des engagements de cette nature ; que vos ordres sont de vous emparer, inconditionnellement, de la personne de Buonaparte, et de sa famille, et de les tenir à la disposition des Alliés {71} ... »
Après avoir relu attentivement les dernières lignes, l’amiral rédige trois lettres, l’une à l’attention de Lord Keith, l’autre au commandant des forces de Brest. La troisième, la plus urgente, est expédiée par chaloupe pontée au capitaine Maitland, commandant le Bellerophon, et qui croise au large de Chassiron.
Sur le pont de la Bayadère au mouillage, le commandant Baudin est resté planté devant la barre, comme si ce gouvernail immobile avait le pouvoir de lui indiquer le courant porteur. À minuit il sortit de sa méditation et courut à sa cabine.
« À Monsieur le baron de Bonnefous
Préfet maritime.
Monsieur le baron, s’il ne s’agissait que de moi, de mon existence, de mon honneur même, je n’aurais pas eu besoin d’un seul instant de réflexion pour répondre affirmativement à la question contenue dans votre lettre d’hier soir, mais il s’agit de sauver un grand homme, d’épargner à la France entière l’humiliation qui serait le résultat d’un insuccès. J’ai donc dû peser mûrement toutes les chances de l’entreprise que vous me proposez, et je n’hésite pas à dire que je la crois possible et facile, que je suis prêt à m’en charger.
Ni la Bayadère ni l’Infatigable, qui sont ici sous mes ordres, n’ont une marche supérieure, mais le hasard met en ce
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