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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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douloureuse qui ne lui avait pas permis à Waterloo de se porter avec sa vivacité habituelle sur les divers points du champ de bataille ». Puis Napoléon a semblé s’assoupir. À 2 heures du matin, Beker a été de nouveau réveillé par des râles étouffés.
    La lune de quart s’engouffrait par le hublot et découpait sur l’écran de toile la silhouette en ombre chinoise. Napoléon s’était redressé sur son lit, la tête sur ses genoux et se palpait le ventre comme s’il était à la recherche d’une invisible plaie. Il parlait à voix basse. Beker alarmé se redressa sur sa couche et tendit l’oreille. Il retenait son souffle dans le silence de la cabine ; le général écoutait ce sommeil ponctué d’ahans et traversé de mots bredouillés, dont ne lui parvenaient que des miettes   : l’armée..., Ney..., les Anglais..., le peuple..., la Garde..., le jugement de l’Histoire... Et des ronflements maladifs, et les craquements du châlit sous le poids du dormeur. Et il entendait entre soupirs et gémissements les bribes d’un monologue haletant   : « Qu’est-ce que j’ai   ? Qu’est-ce qui m’étouffe   ? C’est comme si j’avais pris une drogue émolliente..., des vertiges..., des sueurs..., la tête vide..., les jambes et l’esprit cotonneux. Comme un brouillard sur ma volonté... »
    Napoléon se retournait une fois encore, et son mouvement lui arrachait des cris plaintifs. Beker pensait à ce vers de Corneille que lui citait l’Empereur   :
    Pour grands que soient les rois, ils sont ce que nous sommes.
    À nouveau un long râle coupé de mots balbutiés, de petits cris plaintifs de bête blessée. L’ombre chinoise émergea du lit, traversa la cabine et se traîna jusqu’à la table. Il s’assit la tête dans les mains puis il appuya la tête contre la cloison, affaissé dans une sorte de prostration. Beker n’osait pas intervenir. Lorsqu’il se réveilla à 5 heures, l’Empereur s’était habillé et il était monté sur le pont.
    Beker avait été péniblement impressionné par les scènes de la nuit où il avait vu, comme projetés par une lanterne magique, les gestes désordonnés que la douleur arrachait à Napoléon, et ces confidences haletantes sur le brouillard intérieur, sur les jambes et l’esprit « cotonneux ». D’abord il avait attribué cette réaction à la fatigue, à l’inquiétude. Non, il y avait autre chose. Une drogue émolliente, avait dit Napoléon. Beker haussait les épaules. Qui aurait pu penser ici à distiller des narcotiques ou du poison ? Mais alors quoi...
    Le seul homme auquel il ne craignait pas de s’ouvrir était le capitaine Ponée. Mais quel prétexte inventer pour se faire conduire sur la Méduse  ? Ce transfert insolite ne manquerait pas d’éveiller la surprise de l’Empereur, la méfiance de Philibert. Il monta sur le pont. Napoléon était accoudé au bastingage et se livrait à son passe-temps familier du matin   : lorgner la croisière anglaise avec sa jumelle marine.
    Un petit groupe d’officiers qui s’était formé à quelques pas derrière lui l’observait en silence. Et dans ce groupe, Beker reconnut le profil busqué et la chevelure romantique de Jean-Baptiste Triaud {77} , le chirurgien du bord. Ils n’avaient pas échangé dix paroles depuis son embarquement.
    Tandis que Napoléon braquait son objectif sur les pertuis, Beker tira la manche de Triaud.
    —  Capitaine, est-ce que je pourrais vous voir en particulier   ?
    Le vieux major tourna vers le général sa tête de forban débonnaire   :
    —  Il y a quelque chose qui ne va pas   ?
    —  Oui..., non..., enfin...
    —  Vous voulez venir à ma cabine, nous serons plus tranquilles.
    —  Nous pouvons parler ici, capitaine, ce sera très bref.
    —  Mais de quoi souffrez-vous au juste   ?
    —  Ce n’est pas, comment vous dire, un mal assujetti à des repères physiologiques, c’est une impression vague et diffuse...
    Ils firent quelques pas sur le pont et Beker s’accota à une caronade. Il était décidé à ne pas trahir les confidences balbutiées de la cabine. Il allait présenter son propre cas.
    —  ... J’ai d’abord attribué mon état à la fatigue, car il faut vous dire que depuis le 25 juin, date à laquelle j’ai été délégué au service de l’Empereur, je mène une vie exténuante. Les soucis de ma charge, la volonté de mener à bien ma mission, l’angoisse du sort de Napoléon, le trajet, les nuits blanches, la

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