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La nuit de l'ile d'Aix

La nuit de l'ile d'Aix

Titel: La nuit de l'ile d'Aix Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gilbert Prouteau
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fort en gueule. Il a forgé sa carrière entre les coups d’éclat, les coups d’État et les coups fourrés. Il a alterné les faits d’armes épiques et les rixes de taverne. Ce légionnaire de la police devenu chef d’état-major de Masséna a subi la prison de droit commun et la destitution infamante. Sa promotion d’ambassadeur extraordinaire de l’Assemblée est ressentie par Napoléon comme une provocation.
    L’Empereur l’écoute dévider son couplet sur l’urgence de l’abdication. Le mirliflore bredouille quand Napoléon le coupe   :
    —  Très bien, j’adresserai un message aux députés. Dites-leur d’attendre.
    —  Attendre, sire   ? dit Regnault de Saint-Jean-d’Angély, mais attendre quoi ? La mise hors la loi par les Chambres ?
    L’Empereur explose   :
    —  Les Chambres   ? Ce ramassis de jacobins vaniteux, ces incapables... il y a longtemps que j’aurais dû les museler.
    Sa voix se durcit. Il marche sur Regnault, le transperce de son regard de flamme. Regnault baisse les yeux.
    —  Il n’est pas trop tard, n’est-ce pas   ? Je peux compter sur les grenadiers   ?
    —  Sire, balbutie Regnault, ce qui vous est demandé, c’est un immense sacrifice, un sacrifice à offrir au pays en danger.
    Alors se relaient auprès de l’Empereur indécis les hérauts du renoncement, les basiles du compromis, les aboyeurs de la peur. Abdication... Hors la loi... Déchéance.
    —  Aujourd’hui l’hallali, demain la curée, lance Napoléon à Joseph.
    Il va faire front deux heures.
    Déchéance... hors la loi... abdication...
    Le bourdon s’enfle en tocsin. Et le tocsin tourne au glas.
    —  C’est bien, dit Napoléon assourdi, j’abdique. Et, tourné vers Lucien   : Écrivez.
    « Français   ! En commençant la guerre pour soutenir l’indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts et le concours de toutes les autorités nationales. J’étais fondé à en espérer le succès et j’aurais bravé les déclarations de toutes les Puissances contre moi. Les circonstances me paraissent changées. Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations et n’en avoir réellement voulu qu’à ma personne   ! »
    La pièce est devenue fournaise. Est-ce la chaleur d’étuve, la gravité de l’instant – ou les derniers remords des transfuges –, les mouchoirs sortent et épongent les tempes moites. Tandis que Lucien soigne les boucles, appuie les jambages, Napoléon dicte, de dos, lentement, le front appuyé à la fenêtre, d’une voix calme, sourde, ponctuée de longs respirs entre les phrases. Il se retourne et achève   :
    « Les ministres actuels formeront provisoirement le Conseil de gouvernement. L’intérêt que je porte à mon fils m’engage à inviter les Chambres à organiser sans délai la régence par une loi. Unissez-vous tous pour le salut public et pour rester une nation indépendante   ! »
    Il achève sa dictée, se penche sur la feuille, se redresse, regarde les ministres, sa voix se durcit   :
    —  L’ennemi est à nos portes et les Bourbons sont derrière l’ennemi. Il faut repousser les premiers ou subir les seconds. Quant à moi j’ai l’habitude de l’adversité.
    Le silence grince, ébréché par la plume de Lucien   :
    —  Ajoutez ceci   : « Ma vie politique est terminée et je proclame mon fils Napoléon II Empereur des Français. »
    Les ministres sont réunis dans le salon du Conseil. Napoléon ouvre la porte avec fracas. Il regarde Fouché affairé à rédiger pour Manuel ses dernières instructions, et lui lance dans un sourire crispé   :
    —  Citoyen Fouché, montrez donc votre joie   ! Vous avez souhaité mon départ... Vous et vos amis, vous allez être satisfaits, et il lui tend le papier qu’il vient de dicter.
    Lazare Carnot monte à la tribune de la Chambre des pairs. Il lit d’une voix grave et lente le texte de l’abdication. Le tumulte qui agitait encore les travées quelques instants plus tard s’apaise, les visages se figent, un silence de crypte pèse sur l’Assemblée et dans ce silence mortuaire tombent les mots que recueille l’Histoire.
    Brusquement, toute une partie de l’Assemblée éclate en ovations et en vivats, les bravos déferlent sur les travées. Fouché qui continue de tirer les ficelles des pantins propose sans rire de nommer une commission pour rendre hommage à Napoléon   :
    —  C’est

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